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Diokhor île : oasis en détresse sur le lac de Guiers

Auteur: Seneweb TV

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Diokhor île : oasis en détresse sur le lac de Guiers

Sur les eaux calmes du lac de Guiers, Diokhor île vit entre abondance agricole et pénuries vitales. Ce village de plus de 2 000 habitants, fier de sa production de patates et de son élevage, lutte pourtant chaque jour pour accéder à l’eau potable et à des soins de santé dignes. Entre débrouillardise, solidarité et espoirs d’appui public, les insulaires affrontent fièrement un quotidien fait d’innombrables défis.

Pas le plus célèbre, mais le plus vaste du Sénégal. Situé au Nord du pays, le lac de Guiers a une superficie de près de 300 km². Il constitue la plus grande réserve d’eau douce du pays. Véritable cordon ombilical aquatique, il irrigue la région de Saint-Louis ainsi qu’une partie de la région de Louga et contribue largement à l’agriculture, l’élevage et à l’approvisionnement en eau potable. Au cœur de cette étendue d’eau, une terre émergée se distingue. Bienvenue sur le Dund Dialagne. Nichée à plus de 300km de Dakar, cette île lacustre est composée des villages de Tiéckène, Dialang et de Diokhor Takk. Récemment, 2 autres hameaux ont vu le jour : Keur Baydi et le Gaya. De tous ces villages, Diokhor Takk est le plus célèbre. Plus connu sous le nom de Diokhor île, ce village est composé d’une population de plus de 2000 individus soit l’une des plus importante de la communauté rurale de Ngnith située dans le département de Dagana. En 2021, les habitants de cette bourgade ont confié ses rênes à Samba Gueye que tout le monde ici appelle affectueusement « Bathie ». Un chef de village pas tout à fait comme les autres. En plus de ses responsabilités communautaires, il enseigne les mathématiques au lycée de Ngnith. Ce fils du terroir connaît chaque recoin de ce village dont il s’apprête à nous raconter l’histoire. « Il y a deux Diokhor : Kaw et Takk, nous explique-t-il. Auparavant, nos ancêtres étaient des pêcheurs, des éleveurs et des paysans. Pendant l’hivernage, les parties cultivables sont inondées, ils étaient contraints de se déplacer et de partir vers l’autre Diokhor appeler Kaw afin d’y cultiver. Après cette saison, ils reviendront à la période de décrue pour reprendre leurs activités, ici, à Diokhor Takk. Au fil des années, certains ont décidé de rester là-bas et d’autres ici. Mais, ce sont les mêmes familles. Auparavant, on avait le même chef de village et la même équipe de football. Mais, ça a changé et chaque village est devenu autonome ».

A la recherche de terre cultivables dans les villages environnants

A Diokhor Takk, les activités sont variées. Entourée par un lac, la pratique de la pêche est courante. Mais face à la rareté de ressources halieutiques provoquée en grande partie par la surpêche, cette activité n'est pas réalisée à des fins commerciales. Les poissons capturés sont consommés au repas ou au dîner par les familles. Mais à Diokhor île, on est avant tout paysan et fier de l’être. Pour l’écrasante majorité des villageois, l’agriculture est une activité naturelle et, c’est l’affaire de tous. Comme ici, où hommes, femmes, adolescents et enfants procèdent à la récolte de maniocs

Pour assurer un bon approvisionnement en eau des cultures, les habitants ont mis en place un système d’irrigation. Ces couloirs d’eau creusés à la main font le plein dans le lac de Guiers grâce à deux motos pompes entièrement financés par les insulaires. Confronté à un manque de terre cultivable sur l’île, bon nombre de paysans sont obligés de se tourner vers les communes et bourgades environnantes. A l’exemple de Mbanga Pene. Parmi les modèles de réussite dans le domaine agricole sur l’île, sa famille y figure en bonne place. Chaque jour au petit matin, l’homme âgé d’une quarantaine d’années prépare son pick-up pour un long trajet. Il doit se rendre à Nder dans un village situé à plus de 7 kilomètres de son domicile. Bien que la distance soit courte, l’état de la route marqué une présence abondante de sable prolonge la durée du trajet. Arrivé sur place, c’est l’effervescence. Plusieurs hommes et femmes arrivés aux premières lueurs de l’aube travaillent à la chaîne. Ils viennent des localités voisines pour cultiver des patates sur le champ de la famille Pene qui s’étend sur plus de 4 hectares. Mamadi Pene revient plus en détails sur les raisons de leur présence en ces lieux : « Il n’y a pas assez de terres cultivables sur l’île, c’est pour cette raison que nous venons à Nder. Certains se rendent à Mbane, fédération, et Ndar. La plupart des champs que vous verrez ici sont gérés par des ressortissants de Diokhor ».

Autosuffisance alimentaire : un projet loin d’être une utopie pour les Diokhorois

Les travaux se font en deux périodes pendant la journée pour des rémunérations propres à chaque profil. Les laboureurs payés à 2500 la demi-journée travaillent de manière synchronisée pour sortir les patates du sol. Le tubercule est ramassé et trié par les femmes qui effectuent cette tâche pour une somme de 2000 francs. Les meilleures patates regroupées sont par la suite acheminées vers les emballeurs qui touchent un montant de 5000 francs. Les sacs prêts et alignés sont transportés à 500 francs l’unité par des charrettes d’ânes ou de chevaux jusqu’à la route où des camions prendront le relais pour approvisionner les marchés de Dakar, Touba et même de Mauritanie. Confronté à une demande en produits agricoles sans cesse croissante, Mbanga Pene espère étendre son périmètre d’action avec l’appui des autorités publiques. « Si dans le futur, on apprend que l’Etat ouvre un canal, on s’y rendra pour tenter d’avoir quelques hectares de terres cultivables. Car, ce que l’on possède actuellement est insuffisant parce que le marché est exponentiel. Et les charges sont énormes entre les salaires, le gasoil, les engrais et la location du champ. Une fois que les patates seront récoltées, on plantera aussitôt autre chose. Je ne peux pas me permettre de rester sans cultiver, c’est mon unique source de revenu », fait savoir le cultivateur.

Tous les six à sept mois, ce champ produit plus de 20 000 sacs de patates, revendus à un prix oscillant entre 14 000 et 15 000 francs CFA l’unité. Sous un soleil de plomb et malgré la pénibilité du travail, les ouvriers agricoles, majoritairement journaliers, y trouvent une source de revenus non négligeable. Un labeur éreintant, mais rentable à leur échelle. Assise au sol et entouré par un tas de patates, mère Coumba s’applique pour débarrasser les patates de racines et de parties indésirables. « Je viens de très loin chaque jour pour venir travailler ici. Le travail est épuisant mais, il me permet de subvenir à mes besoins », narre-t-elle.

De toutes les ambitions intemporelles du Sénégal, l’autosuffisance alimentaire se dresse sans aucun doute au-dessus de la pyramide. Pour les paysans de Diokhor Takk, ce souhait est loin d’être une utopie. Une ambition atteignable à condition de réunir certains préalables. « Ce sera très facile, argue Mbanga Pene. Si l’Etat met à notre disposition plus de terres, on pourra nourrir l’ensemble du pays et même exporter ».

Retour sur l’île. En ces lieux, les cultures sont tellement abondantes que même les bêtes en profitent. Il est rare de parcourir ce village et de ne pas tomber sur des élevages de bœufs et de moutons. Leur alimentation est essentiellement constituée de feuilles de patates séchées que l’on retrouve entassé un peu partout et parfois de restes des récoltes. « On les nourrit essentiellement avec le fruit de nos récoltes, ce qui leur donne cette carrure imposante que vous pouvez constater ».

La quête de l’eau potable, un combat quotidien

Dans ce village, les habitants sont majoritairement musulmans et adeptes de la confrérie Tidjane et plus particulièrement du mouvement « Moustarchidina wal Moustarchidaty » fondé par Serigne Mouhammadoul Moustapha Sy Al Maktoum. En dehors des activités sportives dominées par le football, l’autre moyen de divertissement des insulaires reste les évènements religieux. « Il n’y a pratiquement pas de divertissement à Diokhor Takk. Des fois, on organise des concerts religieux et c’est tout ».

La place du village consacré aux évènements religieux fait aussi office de point de rassemblement pour la collecte d’eau. Sur le Dound Dialagne, seuls ce village et celui de Keur Baydi possèdent chacun une borne fontaine. Pour les insulaires de Diokhor Takk, la quête pour le liquide précieux potable démarre dès 4h du matin, se prolonge tout au long de la journée et s’achève souvent très tard la nuit. Afin de réduire le temps d’attente, la pompe publique est composée de trois robinets raccordés par des tuyaux. Autant dire que pour être servi, il faut être patient. Une famille est enfin récompensée après plusieurs heures d’attente. A l’aide de leur charrette tirée par un âne, ils acheminent leur réserve d’eau dans leur domicile. Une routine quotidienne agaçante et épuisante. « Généralement, ce sont les femmes qui s’occupent de cette corvée en plus de partir au champ », fait savoir Youssouf assis sur un bidon de 20 litres vide à côté de sa mère. « Ce que nous venons de puiser est insuffisant, nous devrons y retourner pour faire de nouvelles réserves. Et, ce n'est pas gagné avec toutes les personnes qui attendent sur place des fois jusqu’à 2 heures du matin », ajoute-t-il.

Devant une demande en eau sans cesse croissante, l’offre reste stagnante au point d’en devenir insuffisante. Pour tenter de combler le gap, les villageois se tournent vers le lac de Guiers. Pendant que des milliers de dakarois consomment le breuvage de ce bassin naturel au quotidien sans crainte, plus de 2000 insulaires doivent se contenter de la puiser directement, à l’état brut. Entouré par le typha, une plante invasive porteuse de maladies, l’endroit dédié à la collecte d’eau fait aussi office de point de lessive et de lavage d’animaux. Ces derniers, visiblement à leur aise, n’hésitent pas à y faire leur besoin quand l’envie est pressante. On se penchant de plus près, l’on peut apercevoir des têtards s’agiter dans cette eau à la couleur douteuse.

Le lac de Guiers : l’abreuvoir de Dakar, le supplice des Diokhorois

Mais, pas de quoi décourager certains villageois et surtout des enfants qui y accourent afin d’y piquer une tête quand la chaleur est accablante. Après l’agréable, il faut revenir à l’utile. Ce liquide collecté dans des récipients de 20 litres aide les insulaires dans leurs tâches ménagères. Et, il arrive parfois qu’il soit consommé en dernier recours. C’est avec une colère perceptible à des kilomètres que Oumy Gueye nous raconte leur calvaire : « on ajoute à cette eau un désinfectant et de l’eau de javel et on laisse les débris se déposer au fond du récipient. Après cela, on peut la consommer. Mais, on l’utilise surtout pour le ménage et la lessive ».

Si près de l’eau, si loin du potable. C’est en ces mots que l’on pourrait qualifier le paradoxe de Diokhor île. Une situation encore plus étonnante en se rendant compte de la présence à un peu plus de 2 kilomètres de l’usine des eaux de Ngnith mise en service en 1971. Cette centrale gérée par la Société Nationale des Eaux du Sénégal est chargée de tirer, traiter et d’acheminer l’eau du Lac de Guiers dans les foyers de Dakar et ses environs.

Non loin de ce point d’eau, un château d’eau abandonné se dresse. Don d’une ONG sénégalo-marocaine, l’infrastructure a été érigée en 2004. Cette mini-usine de traitement d’eau qui laissait entrevoir des jours meilleurs est tombée en panne deux ans plus tard. De 2006 à nos jours, il n’est plus qu’un vestige utile à la conservation d’aliment de bétails et souvenir d’un bonheur éphémère. Samba Gueye revient sur le combat du village pour un meilleur accès à l’eau potable : « Depuis mon installation en 2023, j’ai entamé des procédures pour le raccordement du village. J’ai pu avoir un devis de la Sen’Eau qui s’élève à 15 329 838 de francs CFA. Puis, nous avons adressé une lettre à la SONES afin qu’elle prenne en charge cette facture dans partiellement ou intégralement dans le cadre de leur programme social ».

Même décanté et désinfecté, la consommation de l’eau puisée dans le lac de Guiers n’est pas sans conséquences sur le plan sanitaire. La bilharziose est une maladie tropicale toujours d’actualité sur une île où le manque de prise en charge est plus néfaste que la maladie elle-même, tant les complications liées à l’absence de soins adaptés aggravent les cas les plus simples.

Prise en charge médicale : l’autre casse-tête des insulaires

Dans ce village de plus de 2000 habitants, il n’existe qu’une case de santé à l’abandon. Le modeste bâtiment est géré par une assistante de santé communautaire. Ce jour, elle prend en charge une femme blessé au doigt lors de travaux champêtres. « Je ne traite que les cas légers. Pour les cas graves, je suis obligé de les référer à Ngnith, nous explique Soukeye Gueye, la gérante de la structure. On a besoin d’eau, d’électricité et d’une machine pour réaliser des échographies ».

Comme dans de nombreuses localités du pays, l’absence d’infrastructures médicales adéquates a des conséquences dramatiques pour les habitants mais encore plus pour les femmes. Et le pire est souvent arrivé. Le jour de son accouchement, Gamou ne l’oubliera jamais. « Je suis parti au niveau d’une structure sanitaire de Ngnith mais on m’a dit de revenir sur mon village pour accoucher. C’est dans la case de santé avec Soukeye Gueye que j’ai pu avoir mon enfant. Et depuis lors jusqu’à présent, rien n’a changé. On manque de tout », dit-elle.

Besoins primaires rares mais la dignité en abondance

Face à toutes ces difficultés, les insulaires refusent de rester de simples spectateurs. Quand les bras de l’État ne portent plus, ceux de la communauté prennent le relais. Illustration faite avec l’éclairage public du village entièrement auto-financé grâce à l’argent de la terre. Les nombreux lampadaires, qui éclairent le village à la nuit tombée, ont été acquis entièrement par les insulaires à raison de 60.000 FCFA l’unité.

Dans cette localité, même les arbres racontent des histoires. En plein cœur du village, trône un baobab centenaire, aussi imposant que chargé de symboles. La rumeur dit que tout élu qui oserait poser les yeux sur lui serait battu aux prochaines élections. Une légende bien ancrée, que nul candidat ne prend à la légère. À Diokhor île, l’isolement n’efface pas l’ingéniosité et encore moins la dignité. Les insulaires cultivent la terre comme on cultive l’espoir, avec patience et courage. Face aux manques, la communauté se serre les coudes et fait tenir la vie à bout de bras. Pendant que le soleil décline lentement sur les eaux calmes du lac, une autre journée s’achève. Le village s’apprête à affronter une nouvelle nuit avec la même attente. Celle d’un avenir plus juste, à la hauteur des efforts silencieux de ces oubliés de l’intérieur.

Moustapha TOUMBOU (Reportage), Abdoulaye SAMB (Images) et Pape BA (Chauffeur)

Auteur: Seneweb TV

Commentaires (3)

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    Vladimir de Prague il y a 2 heures

    Un tres bon reportage!

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    Un lecteur il y a 1 heure

    Merci beaucoup pour ce grand reportage pour une fois quelle chose de très informative.bravo ça fait plaisir

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    Le walo walo il y a 1 heure

    Félicitations Seneweb pour ce reportage exceptionnel !

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