Sénégal, le temps des tumultes ( Par Cherif DIOP)
Aux difficultés économiques s’ajoute désormais la mésentente politico-institutionnelle. Nous pensions ce temps de guerre froide entre le président et son premier ministre révolu. Ce temps des tempêtes médiatiques et des marches de protestations. Hélas, tout nous ramène au douloureux passé récent que nous avons déjà vomi.
Économiquement, le pays tire la langue. Le gouvernement cherche à remonter de l’abîme de la dette publique, dont on n’a pas cessé d’explorer les tréfonds. La critique et la raillerie faciles consistent pour les contempteurs du pouvoir en place à exulter dans une espèce de vengeance puérile. Or, aucun Sénégalais ne devrait se réjouir de ce bond en arrière. Même si, nous pouvons reconnaître que depuis l’élection de Bassirou Diomaye Faye, ça va en empirant. Sans attendre l’acmé d’un duel dont l’inéluctabilité est désormais démontrée par tous les signaux, les militants de Pastef ont d’ores et déjà condamné Bassirou Diomaye Faye au procès de la « traîtrise ». Les réactions réprobatrices pullulent sur internet depuis l’officialisation de Madame Aminata Touré comme Superviseure générale de la coalition DIOMAYE PRÉSIDENT, acte considéré comme un coup de Jarnac contre Ousmane Sonko et le « projet ».
Que nous est-il permis d'espérer ?
Que peuvent espérer les Sénégalais en déréliction des trois années de mandat qui restent au président Faye ? Si ce n’est une querelle picrocholine entre militants de PASTEF en vue de la présidentielle de 2029 ? Une guerre des tranchées entre les partisans de Sonko « l’homme-peuple » et les sympathisants de Diomaye, « l’homme qui ne voulait pas être président ». Tout ceci n’augure rien de bon, à moins d’un an des Jeux Olympiques de la Jeunesse, les JOJ, qualifiés de « priorité nationale » par le président de la République.
Au sens de l’alinéa 2 de l’article 42 de la Constitution, le président de la République « incarne l’unité nationale ». Dès lors, peut-on reprocher au Chef de l’État de vouloir « faire nation » après des années tumultueuses ? Ces années où le pays s’est vu fracturé, où chaque Sénégalais a souffert dans sa chair de la mauvaise publicité faite à NOTRE Sénégal sur la scène internationale. Bassirou Diomaye Faye, qui s’érige en pater familias, n’a pourtant renié ni son éthique ni à ses convictions profondes qu’il partage, du reste, avec Ousmane Sonko. En même temps, les divergences éclatent au grand jour.
Des divergences de fond et de forme
La séquence actuelle est une grenade assourdissante qui empêche d’entendre les dissonances de fond entre les deux hommes. Ce différend assumé et affiché est l’arbre qui masque le rhizome d’une divergence pragmatique plus profonde. D'un côté, Diomaye privilégie une approche conciliatrice et institutionnelle ; de l'autre, Sonko, « l’homme-peuple », maintient ses certitudes dogmatiques d'opposant radical, persuadé qu'un pays ne saurait être réformé par de simples compromis. Or, les réformes structurelles ne peuvent se substituer à de simples déclarations fracassantes. L’annonce tonitruante, dans un cadre purement politique, du refus de la restructuration de la dette publique a créé la surprise, voire la stupeur, dans les arcanes du pouvoir et bien au-delà de nos frontières. Lors de l’installation du comité de pilotage du pacte de stabilité nationale, en pleine mission du Fond Monétaire International à Dakar, Ousmane Sonko avait également annoncé une prochaine baisse des prix de l’électricité, du gaz et du carburant. Une déclaration surréaliste aux yeux de tous les économistes sérieux qui se demandent comment cette promesse pourra être tenue, en l’état actuel du tableau des opérations financières du pays. Nous sommes en mesure d’affirmer que ces déclarations publiques ont complexifié davantage les âpres négociations avec le FMI.
D’un autre côté, face au FMI, le président du conseil supérieur de la défense nationale affiche une fermeté DIPLOMATIQUE. Tout est dans le style. Quand l’usage est plus fort que les idées de progrès, le tact doit guider votre manière d'agir. Les Sénégalaises dans leur écrasante majorité subissent sans broncher une crise économique qui leur a été imposée. Treize mois après la divulgation de la dette cachée, ils attendent toujours la pensée de sortie de crise. Au contraire, tout porte à croire que le pays s’achemine tout droit vers un gouffre bien sombre.
Ousmane Sonko, “l’homme-peuple”
Le meeting du 08 novembre 2025 a démontré, si besoin en était, que la popularité d’Ousmane Sonko n’a pas pris une ride. Seulement, la popularité, aussi immense soit-elle, ne saurait à elle seule définir l’ordre étatique et la légitimité du pouvoir. Si Ousmane Sonko était une incarnation parfaite et consensuelle de la société, son leadership ne serait pas si profondément clivant. Cette posture « d’homme-peuple » est une vue de l’esprit, malgré l’immense popularité de Sonko, tel un Général Georges Boulanger des temps modernes. L’ancien ministre de la guerre en France était le leader du « Boulangisme », ce mouvement politique populiste et nationaliste de la fin du XIXe siècle en France. « Le boulangisme exploitait le mécontentement populaire vis-à-vis des scandales politiques, la popularité du général Boulanger reposait en grande partie sur une stratégie de communication innovante, utilisant des chansons, des portraits et une presse populaire pour le présenter comme un héros et un sauveur. »
Ousmane Sonko ne lâchera rien. S’il y a un terrain sur lequel il excelle, c’est bien celui de l’adversité. Le Premier Ministre a démontré sa combativité politique et stratégique face aux différents écueils qui se sont érigés devant lui. Comme du temps de Macky Sall, Sonko se retrouve dans sa position favorite : celle de la victime, du vaillant combattant blessé, de l’opposant persécuté. Aujourd’hui au pouvoir, il est contraint d’admettre que les pouvoirs de la République ne peuvent se découper comme de la brioche. La Constitution du Sénégal est sans équivoque.
Décider à changer ce qu’il faut tout en maintenant ce qui vaut, le temps des épreuves commence pour Bassirou Diomaye Faye. Le Chef de l’État devra faire preuve d’habileté politique afin d’éviter au pays, des explosions majeures en ces temps troubles.
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