Corruption, instabilité et pauvreté ont favorisé l'implantation de narcotrafiquants en Guinée-Bissau, théâtre mercredi d'un coup d'état justifié par les militaires par la menace d'une déstabilisation impliquant des "barons de la drogue" et qui jette une lumière crue sur les liens troubles entre trafic, politiciens et armée, aggravant l'instabilité politique.

Véhicules 4X4 hors de prix et villas cossues soudainement acquises sans activité connue du propriétaire: en Guinée-Bissau, il y a des trains de vie qui ne trompent pas... Ces richesses inexpliquées sont souvent le signe qu'une personnalité a plongé dans le trafic.

L'histoire de la Guinée-Bissau est marquée par des coups de force militaires et des violences depuis son indépendance en 1974.

Une instabilité aggravée par les trafiquants de drogue qui utilisent ce pays comme zone de transit de la cocaïne entre l'Amérique latine et l'Europe, au point de voir le pays qualifié par les analystes les plus pessimistes de "narco-Etat", et certains de ses responsables taxés par les Etats-Unis de "barons de la drogue".

Mercredi, les militaires ont expliqué avoir été "poussés" à mener leur putsch pour garantir la "sécurité au niveau national et rétablir l'ordre". Ils ont évoqué la découverte par les "renseignements généraux" d'un "plan visant à déstabiliser le pays avec l'implication des barons nationaux de la drogue".

Ces renseignements généraux "ont confirmé l'introduction d'armes dans le pays pour changer l'ordre constitutionnel", affirment ces militaires, qui ont mené leur coup alors qu'étaient attendus les résultats des élections présidentielle et législatives du 23 novembre.

Selon l'Observatoire des économies illicites en Afrique de l'Ouest (GI-TOC), dans un article d'août dernier, "la Guinée-Bissau est depuis longtemps un rouage essentiel dans le système du trafic international de cocaïne" mais ce "marché à Bissau est actuellement en pleine expansion, et est plus lucratif que jamais dans l'histoire du pays".

- "Economie de la cocaïne" -

"Des tonnes de cocaïne sont régulièrement trafiquées via la Guinée-Bissau, et des Colombiens régulièrement repérés dans les plus grands hôtels de la capitale" Bissau, selon l'Observatoire, qui pointe aussi "les Hummers conduits effrontément par des trafiquants colombiens dans les rues de Bissau".

Selon GI-TOC, "l'économie de la cocaïne est inextricablement lié au machiavélique système politique de ce petit Etat d'Afrique de l'Ouest" qui pâtit d'une corruption endémique.

Plus d'un quart de la population vivait sous le seuil de pauvreté en 2023 en Guinée-Bissau, selon la Banque mondiale, et les sommes colossales générées par le trafic de drogue font des envieux et alimentent la corruption.

Des soupçons pèsent sur le financement des campagnes de certains partis politiques, qui héritent soudainement de rutilants 4X4 pour sillonner le pays.

Quelques mois avant les scrutins du 23 novembre, l'ONG relevait que "la Guinée-Bissau risquait d'entrer dans une période de forte tourmente, avec un trafic de cocaïne florissant et de coûteuses campagnes électorales à financer".

Les narcotrafiquants basés à l'étranger sont en lien avec leurs complices locaux en Guinée-Bissau, qui ont leurs contacts parmi des forces de sécurité pour garantir la sécurité des chargements, indique à l'AFP une source proche du dossier s'exprimant sous couvert d'anonymat.

Des "éclaireurs" au sein du trafic préviennent leurs contacts à Bissau de la date d'arrivée d'un navire ou d'un avion en provenance d'Amérique latine, poursuit cette source. Puis des "accompagnateurs" suivent le "produit" et voyagent avec lui jusqu'à Bissau.

- Coopération policière -

Des responsables militaires ou des hauts fonctionnaires de l'administration de ce pays ont souvent été cités dans ce trafic ces dernières années.

Le fils d'un ancien président de Guinée-Bissau, Malam Bacai Sanha Jr, a été condamné en mars 2024 à plusieurs années de prison aux Etats-Unis pour son implication dans un trafic international d'héroïne.

Le président Umaro Sissoco Embalo, renversé mercredi par le coup d'état, avait exclu en août 2021 d'extrader le général et ancien putschiste Antonio Indjai, recherché par les Etats-Unis pour son implication présumée dans un trafic de drogue en lien avec les Farc colombiennes.

Mais à la différence qu'il y a encore cinq ans, les personnalités impliquées ne montrent plus ostensiblement leurs richesses et se font discrètes, en raison d'une coopération policière accrue entre la Guinée-Bissau, le Brésil, la Colombie, le Venezuela, les Etats-Unis.

Quatre Latino-Américains, condamnés en janvier par la justice bissau-guinéenne à 17 ans de prison chacun pour trafic de drogue, ont ainsi été remis en avril à l'agence anti-drogue américaine (DEA) qui a procédé à leur transfert vers les États-Unis.

L'Afrique de l'Ouest est depuis longtemps "une escale naturelle" pour les drogues, principalement la cocaïne en provenance d'Amérique latine, qui transitent vers l'Afrique du Nord et l'Europe, principalement par voie maritime, mais de plus en plus par voie terrestre, selon un rapport de 2024 de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Drogue et trafic sont des fléaux dans plusieurs autres pays de la région, notamment en Guinée et en Sierra-Leone, confrontées à des épidémies de consommation de kush, un cannabinoïde synthétique utilisé localement, et de crack, dérivé de la cocaïne.