L’accès à l’information au Sénégal : au-delà de la perspective normative (Par Birame FAYE)
Ce 28 septembre 2025, conformément à la résolution adoptée par l’Assemblée générale de l’Unesco en 2015, confirmée par celle de l’ONU en 2019, ce qu’on appelle « communauté internationale » célèbre la Journée internationale pour l’accèsuniversel à l’information. Le thème de cette édition est «Garantir l’accès à l’information environnementale à l’ère dunumérique ». Une célébration qui coïncide avec le vote d’une loi sur l’accès à l’information au Sénégal, la 30e du genre en Afrique, si l’on exclut le Mali qui dispose d’une loi plus ou moins similaire, depuis 1998.
Le thème de cette année a le triple mérite de (i) dépasser les cadres juridiques relatifs au droit à l’information et aux documents administratifs, de (i) mettre le curseur sur une thématique (environnement) dont l’intérêt social est sans équivoque et (iii) d’indexer le moyen technologique clé, capable de faciliter l’accès à l’information produite et détenue par les sources institutionnelles. Si le numérique n’est pas une recette absolue, dans le cas d’espèces, sa bonne exploitation peut activement contribuer à informer à une masse critique de jeunes, exposés aux médias sociaux, en leur permettant de demander et de recevoir des données à connotation écologique et même au-delà. A ce titre, l’Agence nationale de la statistique et de la démographie du Sénégal est un exemple à suivre. Elle est parvenue à proposer aux utilisateurs une application mobile permettant d’accéder aux statistiques qu’elle génère. Pour dire qu’une loi ne suffit pas pour faire de l’accès du citoyen à l’information une réalité. Il faut un dispositif opérationnel, à la portée des citoyens. Ce qui n’est pas encore le cas dans la plupart des pays disposant d’une loi sur l’accès à l’information. Du coup, elle reste sans effet.
La nécessaire proactivité
Cette thématique n’est donc qu’un prétexte pour rappeler aux gouvernements la nécessité de créer, d’alimenter et d’animerdes plateformes adéquates pour matérialiser la diffusion proactive des données publiques « communicables », au lieu d’attendre une demande écrite formulée par un citoyen. En procédant ainsi, les organismes publics africains assumeraientune partie de leurs responsabilités dans la lutte contre la désinformation. Ils matérialiseront également le Principe 29 de la Déclaration de principes de l’Union Afrique sur la liberté d’expression et l’accès à l’information (2019). De nos jours, refuser de diffuser des données et informations d’intérêt citoyen, c’est contribuer, de façon passive, à la désinformationqui affecte les systèmes sociaux et politiques.
Le fondement politico-juridique relatif à l’accès à l’information environnementale existe au-delà des cadres normatifs nationaux. Depuis 2015, les pays membres de l’ONU se sont engagés à atteindre 17 objectifs globaux de développement durable (ODD) d’ici 2030. Un concept qui a d’ailleurs fini d’épuiser les avantages de son ambiguïté. Quoi qu’il en soit, l’ODD 16.10 est convaincu que l’information est un facteur clé de développement de durable.
De Rio à Aarhus
23 ans auparavant, le « Sommet de terre », organisé à Rio (1992), avait positionné l’information du citoyen, de façon explicite, dans la stratégie mondiale de lutte contre la dégradation de l’environnement, le changement climatique en particulier. Ainsi, le Principe 10 de la Déclaration de Rio indique : « La meilleure façon de traiter les questions d'environnement est d'assurer la participation de tous les citoyens concernés, au niveau qui convient. Au niveau national, chaque individu doit avoir dûment accès aux informations relatives à l'environnement que détiennent les autorités publiques, y compris aux informations relatives aux substances et activités dangereuses dans leurs collectivités, et avoir la possibilité de participer aux processus de prise de décision. Les Etats doivent faciliter et encourager la sensibilisation et la participation du public en mettant les informations à la disposition de celui-ci. Un accès effectif à des actions judiciaires et administratives, notamment des réparations et des recours, doit être assuré. »
Manifestement, ce principe n’était point suffisant. En 1998, afin de mettre en relief l’intérêt de l’accès à l’information dans les stratégies mondiales et nationales de préservation de l’environnement, des Etats, pour la plupart européens, ont ratifié la « Convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d’environnement ». Elle est entrée en vigueur en 2001 et aujourd’hui ratifiée par 50 pays dontbeaucoup de membres de l’Union Européenne et la Guinée Bissau.
Ladite convention détermine trois domaines d’action suivants dont le premier est d’« assurer l’accès du public à l’information sur l’environnement détenue par les autorités publiques ». A ce propos, le texte prévoit « des droits et obligations précis, notamment concernant les délais de transmission et les motifs dont disposent les autorités publiques pour refuser l’accès à certains types d’information ».
Le rappel de Paris
Le Protocole de Kyoto n’est pas moins sensible à la place de l’information dans les choix politiques. Celle-ci est encorerevenue lors de la CoP 21, en 2015. En effet, l’Accord deParis sur le climat, à son article 12, rappelle : « Les Parties coopèrent en prenant, selon qu’il convient, des mesures pour améliorer l’éducation, la formation, la sensibilisation, la participation du public et l’accès de la population à l’information dans le domaine des changements climatiques, compte tenu de l’importance que revêtent de telles mesures pour renforcer l’action engagée au titre du présent Accord. »
Ce traité semble reprendre une recommandation issue du Sommet Mondial pour le Développement durable, tenu en Afrique du Sud, en 2002. Dans la déclaration finale, l’ONU recommande les gouvernements d’« Élaborer des programmes de sensibilisation à l’importance des modes de production et de consommation durables, en particulier à l’intention des jeunes et des secteurs concernés dans tous les pays, particulièrement dans les pays développés, y compris au moyen de l’éducation, de l’information du public et des consommateurs, de la publicité et d’autres moyens de communication, en tenant compte des valeurs culturelles locales, nationales et régionales ».
Malgré les multiples proclamations officielles reconnaissant l’importance de l’information d’intérêt public dans les stratégies d’adaptation au changement climatique, les gouvernements continuent de lui consacrer de maigres budgets et de fragiliser les médiateurs que sont les médias et les acteurs de la société civile, entre autres. Ils ne trouvent pas non plus opportun de bâtir des politiques nationales de l’information et de la communication qui répondent aux défis actuels. Une habile manière de faire de l’accès du citoyen à l’information publique un rêve permanent.
Birame FAYE
Journaliste, Coordonnateur régional médias
à l’Institut Panos Afrique
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