[Grain de sel] Le trottoir propre, l’estomac vide (par Betu Wurus)
Il faut le reconnaître, c’est agréable. Dakar est propre. On peut enfin marcher sur les trottoirs sans trébucher sur un étal de ceintures ni contourner une table de pousse-pousse.
C’est aéré et on se croirait presque en Europe… la poussière en plus. Le moins que l’on puisse dire est que L’État a réussi son pari esthétique mais il y a un silence. Celui du gorgorlou. Où est-il passé au juste? Le jeune qui vendait des mouchoirs au feu rouge ? La dame qui préparait le petit-déjeuner des travailleurs ? Ils n’étaient pas là pour décorer.
Ils étaient là pour survivre. Et c’est là que le bât blesse. On a traité un problème économique comme un problème de voirie. Quel est l’impact de chasser ces milliers de marchands sans leur offrir la moindre alternative ? On n’a pas formalisé le secteur informel, on l’a amputé. Ce qui ne règle le chômage mais l’a simplement rendu invisible. La nature a horreur du vide. Et l’estomac du gorgorlou, encore plus. Ce vendeur n’a pas de plan B, pas de site de recasement, pas de promesse tenue. Son seul capital, c’est ce mètre carré de bitume. En le chassant, on ne l’a pas rendu plus riche, on l’a juste rendu plus désespéré. C’est un risque immense.
Pensez-vous vraiment que ces gens vont mourir de faim poliment, chez eux, juste pour que la ville reste belle ? Il fallait d’abord leur offrir une alternative avant de les faire lever. Parce que ce vide, si propre aujourd’hui, sera bientôt rempli.
Soit par les mêmes gorgorlous, jouant à cache-cache avec la police parce que leurs enfants doivent manger. Soit par la colère. La propreté sans solution sociale, c’est juste de la décoration. Et la décoration, ça ne se mange pas.
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