Haut lieu de la fraude des denrées de première nécessité, le village de Diama, à la frontière avec la Mauritanie, à 30 km de Saint-Louis, vit de ce commerce. Les affaires liées à la fraude sont si florissantes dans la zone qu’elles ont fini par faire des millionnaires. Quant à la douane, elle est presque désarmée face à l’ampleur du phénomène.
Située à 30 km de la ville de Saint-Louis, la Communauté rurale de Diama est un haut lieu de trafic illégal de denrées de première nécessité. Ce commerce frauduleux est d’ailleurs la principale source de revenus des populations des villages environnants. Les trafiquants se sont constitués en de vastes réseaux que même les soldats de l'économie résidents n'arrivent pas à démanteler. L'essentiel des villageois de Maka Diama, Amoura, Démizine, Gade, Daré Salam, Mbéraye, Téresse, Rome et quelques villages à côté du parc de Djoudj vit de ce commerce frauduleux.
Les eldorados : Maka Diama, Amoura, Démizine, Gade, Daré Salam, Mbéraye, Téresse, Rome
Du sucre au blé, en passant par la farine, l’huile, les biscuits, mais aussi les meubles, les appareils électroménagers comme les téléviseurs, les réfrigérateurs, les antennes paraboliques, les téléphones cellulaires, c’est tout un système qui s’est mis en place dans la zone. Une activité commerciale prospère basée sur la fraude que la douane a du mal à juguler et qui a produit de nouveaux riches dans la zone. En effet, les douaniers donnent des autorisations aux villageois désireux de se ravitailler en produits de base afin qu’elles puissent traverser le barrage de Diama et faire leurs achats sans risque majeur. Mais, une fois dans les boutiques des Maures, de l’autre côté de la frontière, en Mauritanie, villageois comme commerçants et fraudeurs se livrent à un jeu de cache-cache avec les douaniers pour tenter d’introduire frauduleusement des denrées en territoire sénégalais. Beaucoup de trafiquants ruinés reprennent les travaux champêtres
Et dans le cadre de ces activités délictueuses, les denrées les plus prisées, car étant les plus faciles à écouler, sont le sucre en poudre, les biscuits, le lait en poudre, la farine, le blé et l'huile. Des produits achetés en Mauritanie deux à trois fois moins cher que leurs prix au Sénégal. Ce qui favorise la fraude car les populations environnantes de Diama ne se contentent pas simplement de faire des courses pour leur propre consommation, mais elles font de cette activité un fonds de commerce en menant des affaires florissantes, bien que la qualité de ces produits venants de la Mauritanie laisse à désirer. En effet, le kilogramme de sucre mauritanien coûtait avant la crise mondiale 300 F Cfa. Le sac de 50 kg de ce sucre en poudre est vendu à 19 000 F Cfa, là où le litre d'huile venant de l’autre côté de la frontière revient à 600 F Cfa, contre 1 000 F Cfa pour le litre d’huile locale. Aussi, une fois de retour en terre sénégalaise, les villageois qui sont traqués par les soldats de l'économie usent de tous les artifices pour passer entre les mailles des filets en utilisant la plupart du temps des charrettes pour transporter leur «butin» à travers la brousse avant d’aller placer les produits frauduleux auprès des boutiquiers des villages environnants.
Les barons du trafic devenus des intouchables mènent grand train
Ces trafiquants sont des Maures, des Wolofs, des Peulhs et font l’effort de kilomètres de détours, pour ne pas tomber entre les mains des douaniers. Ces derniers qui sont assez bien équipés font des patrouilles nocturnes pour traquer les fraudeurs. Et parfois, ils sont aidés par des villageois reconvertis en «indics». Il n'est ainsi pas rare de voir des trafiquants, parce que «balancés» aux douaniers par les «indicateurs», être pris en flagrant délit et ainsi dépouillés de tous leurs biens. Du coup, ils sont ruinés et reprennent les travaux champêtres. Il n’est toutefois pas rare de voir des villageois qui sont parvenus à passer à travers les contrôles de la douane se retrouver avec des commerces si florissants qu’ils écoulent leurs produits au-delà des environs de Diama. Et pour la plupart, ces grands fraudeurs ont un niveau de vie impressionnant. Souvent millionnaires, ils mènent la vie à grandes guides : épouses, belles villas, cars de transport, commerces et important cheptel. Ils deviennent même des «intouchables» dans la zone. Car très fortunés. Une richesse qui a pour origine la fraude sur les denrées de première nécessité, durant de longues années au détriment de l’économie nationale.
«Bayaal Tendjiguène», le haut lieu de la fraudeLe système de fraude sur les produits venant de la Mauritanie voisine n’est pas basé que sur les charretiers, du côté de Diama. Les transporteurs y trouvent aussi leur compte. En effet, c’est très tôt le matin qu’ils se mettent en route pour rallier le garage Dakar-Bango, bien avant que les soldats de l'économie ne commencent leur contrôle. C'est là que les grands grossistes, les détaillants, pères de famille et revendeurs les attendent pour procéder aux échanges. Le trafic est si intense dans la zone, avec les cars et taxis qui font des va-et-vient incessants pour acheminer des denrées et produits frauduleux que les soldats de l'économie ont baptisé certains cars ou taxis «Sucré». Mais de tout Diama, c’est la place publique dénommée «Bayaal Tendjiguène», plus connue sous le nom garage Dakar-Bango, qui est le symbole du trafic. Cet endroit est le point de ralliement de tous les fraudeurs de la zone. Trafiquants comme passagers qui quittent les villages situés à plusieurs kilomètres à la ronde s’y retrouvent pour faire des affaires. Et cela en plein jour, au vu et au su de tout le monde, même de la douane qui semble désarmée face à l’ampleur du phénomène. Chauffeurs de taxis et de cars, vendeuses de poisson, éleveurs, bergers, fraudeurs, en provenance de la Mauritanie et du Sénégal se côtoient quotidiennement dans ce haut lieu de la fraude. La majeure partie des gens qui viennent de Saint-Louis pour faire leurs emplettes se donne aussi rendez-vous au garage «Bayaal Tendjiguène» pour s’approvisionner à moindre coût.
La douane comme dépassée par le phénomèneÀ Diama, la population qui s’adonne à la fraude fait la loi. Cela, au grand dam de la douane qui est presque dépassée par l’ampleur du phénomène, en dépit des moyens qu’elle déploie et de l’arsenal d’astuces dont usent les hommes sur le terrain pour contrecarrer les plans des fraudeurs. Seulement, les soldats de l’économie se heurtent à la population. Il est ainsi souvent arrivé que les villageois récusent la nomination d'un chef de brigade de contrôle. Une manière pour la population de démontrer que tous les moyens sont bons pour décourager les soldats de l’économie en les empêchant de faire leur travail. D’ailleurs, les populations se livrent parfois à des pratiques occultes pour pousser les douaniers réputés durs à cuire, notamment les chefs de poste les plus zélés et qui se montrent intransigeants, à quitter leur patelin. Sur un autre plan, les accrochages ne manquent pas. Des affrontements entre les fraudeurs et les soldats de l'économie virent ainsi souvent au drame. Un fraudeur du nom de Omar Diallo, habitant au village de Mbéraye, père de trois enfants, a été d’ailleurs abattu récemment par les douaniers pour refus d’obtempérer.
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