La ville de Ziguinchor n’est plus ce qu’elle était. Si les populations ont retrouvé la joie de vivre avec le retour annoncé de la paix, la ville elle, continue sa paupérisation. Plus de vingt ans de guerre ont fini par transformer la capitale du sud en gros bourgs où les populations demeurent plongées dans une torpeur généralisée. D’ailleurs, beaucoup dans la ville pensent qu’un mauvais génie s’amuse à rendre leur vie impossible.
Le voyageur qui arrive à Ziguinchor en provenance de Dakar, a la vague impression d’arriver dans un gros bourg, où tout est à refaire et où tout n’est que misère et désolation. Le pont Emile Badiane qui sert d’entrée principale n’est plus qu’un monstre fatigué et rouillé. Par endroits d’ailleurs, il n’y a point de garde-fous, ce qui rend la circulation de nuit particulièrement dangereuse pour les automobilistes.
A Ziguinchor, personne ne croit plus au miracle et la fatalité ainsi que la résignation ont gagné la ville et ses faubourgs. Ziguinchor n’est plus qu’un vieux port sans avenir, où se croisent réfugiés, politiques en quête de nouveaux pigeons, touristes et humanitaires qui, eux, tentent de redonner vie à la capitale du sud meurtrie par plus de vingt ans de guerre. La guerre est d’ailleurs sur toutes les lèvres. Depuis quelques semaines, les réfugiés qui fuient les affrontements entre les hommes de Salif Sadio et ceux du général Tag Mé Na Wai, arrivent en masse dans la ville et ses environs. Loin de les démoraliser, les ziguinchorois qui savent que les combats ont lieu de l’autre côté de la frontière, vaquent tranquillement à leur occupation faite de débrouillardise. L’avenir ici se trouve dans le regard de l’autre.
PAUVRES MAIS SOLIDAIRES
Faire le tour de la ville achève de convaincre les plus sceptiques que la capitale du sud abrite de nombreuses poches de pauvreté, où seul compte la foi en Dieu et à ses voisins qui n’hésitent pas à partager le peu qu’ils ont avec les plus malheureux qu’eux. Dans le quartier de Colobane, miséreuse banlieue de Ziguinchor où les rues crevassées n’attirent plus les taxis, seul l’espoir de lendemains qui chantent permet aux populations de croire en la vie.
Tôt le matin, armés de leurs instruments de travail, les habitants du quartier prennent le chemin des champs où, à cette période de l’année, ils font du maraîchage. Le soir, après une dure journée de labeur, ils vont partager avec le voisin, l’ami et même l’étranger de passage, un verre de vin de palme dans les nombreux daaka (bistrot en plein air). Là, entre petites gens, ils se racontent leurs joies et leurs peines dans une ambiance de franche amitié. Et comme seuls savent le faire ces oubliés de la vie, ils se racontent aussi des histoires drôles qui soulèvent des salves de rigolades.
C’est aussi dans ces bistrots à ciel ouvert où, à la suite d’une rencontre avec une bonne fée qui ici prend les airs d’un client du bistrot, que se règlent certains problèmes de la vie. A la suite d’une confidence lancée entre deux gorgées de vin, une âme charitable se propose souvent de jouer les chevaliers blancs pour un ami qui est dans le besoin. C’est cela la vie dans les faubourgs de Ziguinchor. Mais quand, tard dans la soirée, l’idée vous vient de trouver un taxi et de retourner dans les beaux quartiers, un autre problème se pose. Il est en effet très difficile de trouver un taxi dans la ville de Ziguinchor à certaines heures de la nuit. Et si la chance vous sourit, il faut partager le taxi avec un autre noctambule qui, lui, habite peut-être à l’autre bout de la ville.
OMBRES ET LUMIERES
La nuit à Ziguinchor permet de percevoir les différences entre les quartiers. Une grande partie du quartier de Colobane demeure dans l’obscurité. Il n’y a point d’éclairage public dans cette partie de la ville où les populations, essentiellement composées de migrants ayant fui la guerre ou la misère de leur village, et ne comptent pas pour les autorités de la ville. Seuls les humanitaires, très nombreux dans la ville, jettent un regard attendrissant sur cette population. Presque tous les jours, au détour d’une rue, on croise une des voitures des nombreuses organisations humanitaires, mais aussi les véhicules des agences de coopération entre le Sénégal et les pays européens. Ce sont ces organismes qui, grâce aux dons, au soutien technique qu’ils apportent aux populations, atténuent la misère devenue endémique dans la capitale du sud. C’est dans le centre-ville où les nantis de la ville se donnent rendez-vous dans les nombreux bars de la cité ou les hôtels de luxe. Là, ils se retrouvent entre amis pour pousser la chansonnette avec les artistes de passage dans la capitale du sud ou encore à danser sur un ton de la musique afro ou sénégalaise jusqu’à l’aube.
Ces lieux fréquentés par la bourgeoisie locale bruissent quotidiennement de rumeurs sur une probable pluie d’argent qui s’apprêterait à tomber sur la verte Casamance. Mais personne n’y croit vraiment. Dans la capitale du sud, cohabitent ainsi deux mondes qui se croisent souvent et partagent un seul et même destin, celui d’appartenir à une ville qui se meurt.
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