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Absence d’un Ordre national des sages-femmes : Une contradiction juridique qui plonge la profession dans « l’illégalité »

Auteur: Yandé Diop

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Absence d’un Ordre national des sages-femmes : Une contradiction juridique qui plonge la profession dans « l’illégalité »

Au Sénégal, la profession de sage-femme se trouve aujourd’hui dans une impasse juridique inquiétante. Alors que ces professionnelles sont au cœur de la santé maternelle et néonatale, leur exercice repose sur un cadre légal fragile, voire contradictoire. « En cause, l’absence d’opérationnalisation de l’Ordre national des sages-femmes pourtant créé par la loi n°14-2017 du 20 janvier 2017, votée depuis huit ans, mais toujours non appliquée. Cette situation paradoxale expose les sages-femmes à une insécurité juridique permanente, tout en mettant en péril la qualité et la sécurité des soins offerts aux femmes ».

Une loi votée, mais jamais appliquée

La loi portant création de l’Ordre national des sages-femmes existe bel et bien. Pourtant, « aucun organe n’a été installé, aucun registre national n’a été constitué, aucun mécanisme disciplinaire n’a été mis en place », du moins selon la présidente de l’Association sénégalaise des sages-femmes d’État du Sénégal. 

Pour Bigué Ba Mbodj, « la conséquence directe est qu'aujourd'hui, une profession essentielle fonctionne sans instance de régulation, contrairement aux médecins, pharmaciens ou chirurgiens-dentistes ». 

D'après la sage-femme d’État et figure du plaidoyer, cette situation est incompréhensible. « On exige des sages-femmes qu’elles assument des responsabilités médicales lourdes, mais on leur refuse les outils juridiques nécessaires pour exercer légalement et sereinement ». Elle s'est exprimée en tant qu'invitée de l'Association des journalistes en santé population et développement (Ajspd).

Une profession reconnue par l’OMS, mais niée par le droit national

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Confédération internationale des sages-femmes (ICM), la sage-femme est une profession médicale à responsabilité définie, au même titre que les médecins, pharmaciens et chirurgiens-dentistes. À ce titre, « elle est légalement habilitée à assurer des consultations, poser des diagnostics, proposer et conduire des prises en charge, assumer la responsabilité de ses actes. Or, le droit sénégalais continue de s’appuyer sur la loi 66-69 du 4 juillet 1966, qui assimile encore les sages-femmes à de simples auxiliaires placées sous la responsabilité des médecins. Une disposition en totale contradiction avec la réalité du terrain et les normes internationales ».

 Elle note que « cette incohérence juridique crée une situation absurde, les sages-femmes exercent des actes médicaux indispensables, mais sans reconnaissance légale claire, ce qui les expose, théoriquement, à des accusations d’exercice illégal ».

Normes sans valeur juridique, responsabilités bien réelles

Autre paradoxe majeur : « Les sages-femmes travaillent sur la base de normes et protocoles élaborés par le ministère de la Santé, notamment dans le domaine de la santé de la mère et de l’enfant ». 

Pourtant, selon des juristes consultés lors d’ateliers de plaidoyer, ces normes n’ont aucune valeur juridique devant les tribunaux, en l’absence d’un statut légal clair de la profession. « Quand une sage-femme est poursuivie, les normes et protocoles ne la protègent pas. Elles n’ont aucune valeur juridique », a expliqué une magistrate lors d’une rencontre soutenue par l’UNFPA. Ainsi, les sages-femmes sont pleinement responsables de leurs actes, mais privées de toute protection légale adéquate.

Formation anarchique et dérives professionnelles

L’absence d’un ordre a également ouvert la voie à une prolifération incontrôlée d’écoles privées de formation, sans harmonisation des curricula, malgré l’existence d’un curriculum régional élaboré par l’Organisation ouest-africaine de la santé (OOAS) selon Mme Mbodj. Elle souligne en même temps des conséquences. Il s'agit « de diplômes non reconnus, compétences inégales, confusion sur l’usage du titre de sage-femme, échec massif aux examens de certification (taux de réussite inférieur à 1 %). 

Des milliers de personnes exercent ainsi sur le terrain sans cadre clair de certification, au détriment de la sécurité des patientes ».

Précarité extrême et conditions de travail indignes

Sur le terrain, la situation est tout aussi alarmante. Les sages-femmes, notamment en zones rurales, travaillent souvent dans des conditions extrêmes : absence d’eau et d’électricité, accouchements à la lumière des téléphones, logements précaires, parfois dans les salles de consultation, contrats à durée déterminée liés à des projets, retards de salaire prolongés, impossibilité d’intégrer la Fonction publique. 

À cette précarité professionnelle s’ajoute un coût social élevé : éloignement des conjoints, ruptures familiales, solitude prolongée, sacrifices personnels lourds.

Un rôle central dans la réduction de la mortalité maternelle

Pourtant, les données sont claires. Selon l’OMS et l’UNFPA, 87 à 90 % de la réduction de la mortalité maternelle repose sur l’action des sages-femmes. « On ne peut pas confier une telle responsabilité à une profession que l’on maintient dans un flou juridique », a martelé Mme Mbodj. Sans sages-femmes, la couverture sanitaire universelle resterait une illusion, notamment dans les zones rurales où elles constituent souvent le seul personnel qualifié disponible. 

Face à cette contradiction, les sages-femmes interpellent les plus hautes autorités de l’État. Elles réclament « la révision urgente de la loi 66-69, notamment son article 4,la mise en cohérence des textes juridiques, la signature du Code de déontologie, l’adoption de la nomenclature des actes, et l’installation effective des organes de l’Ordre national des sages-femmes. Sans ces réformes, la profession reste juridiquement invisible, alors même qu’elle est indispensable à la survie de milliers de femmes et de nouveau-nés."

Une illégalité institutionnelle lourde de conséquences

Aujourd’hui, le paradoxe est criant : le Sénégal améliore ses indicateurs de santé maternelle grâce aux sages-femmes, tout en les maintenant dans une zone grise juridique. « Ce n’est pas un rêve que nous portons. C’est une réalité internationale. Ce qu’il faut, c’est une volonté politique », conclut Bigué Ba Mbodj. 

Tant que cette volonté fera défaut, l’État continuera d’exiger des sages-femmes un travail vital, sans leur reconnaître l’existence juridique nécessaire pour l’exercer légalement. Une contradiction lourde de conséquences, pour la profession comme pour les femmes qu’elle soigne.

Auteur: Yandé Diop
Publié le: Mardi 23 Décembre 2025

Commentaires (1)

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    Mamadou lamine Diop il y a 2 heures
    Des solutions et des acts allant dans ce sense Madame.
    En attendant, le constat est que votre corporation est violente envers les malades et vous n'en faite pas votre doléance principale.
    Sans nous ,les patients, vous n’êtes riens, alors parlez plutôt et amplement d'un changement de comportement en nous considérant comme des clients de haut rangs et nous traiter comme des être humains en position de vulnérabilité.

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