Dix ans d'impuissance : Le Sénégal reste prisonnier du tabac, l'OMS inquiète
Dix ans après la première enquête nationale, le nouveau rapport GATS-II (Global Adult Tobacco Survey) dévoile un visage du tabagisme à la fois familier et inquiétant. En effet, les hommes fument toujours beaucoup, les femmes restent exposées, et les lois, pourtant solides, peinent à s’imposer. C'est le constat du rapport GATS-II 2023, publié ce 14 octobre par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) que nous avons parcouru.
Le tabac tue chaque année plus de 8 millions de personnes dans le monde, dont plus de 70 % dans les pays à revenu faible ou intermédiaire. Au Sénégal, les maladies liées au tabac coûtent des milliards à l’économie nationale, bien plus que les recettes fiscales générées par sa vente. Derrière ces chiffres se cachent des vies brisées : cancers du poumon, infarctus, AVC, maladies respiratoires. Le rapport insiste : le tabac n’est pas seulement un problème individuel, mais une question de santé publique et de justice sociale.
Il y a un paradoxe dans les chiffres du rapport GATS-II 2023. Le Sénégal dispose depuis 2014 d’une loi antitabac appréciée par des organismes de santé tels que l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Seulement, le tabagisme reste solidement ancré dans les habitudes. Environ un adulte sénégalais sur dix fume encore.
Derrière ce chiffre se cachent de fortes disparités. En effet, les hommes sont vingt fois plus nombreux à fumer que les femmes, et les milieux urbains devancent largement les campagnes. « La cigarette reste un marqueur social, un geste de virilité ou de détente. Dans certaines professions, ne pas fumer, c’est presque décaler », confie le rapport.
L'enquête GATS-II, menée en 2023 sur un échantillon représentatif de milliers d’adultes, est la seconde du genre au Sénégal, après celle de 2013. Elle s’inscrit dans un effort mondial piloté par l’OMS pour suivre les engagements pris dans le cadre de la Convention-cadre pour la lutte antitabac. Et le constat est clair : la guerre contre la cigarette est loin d’être gagnée.
Au Sénégal, le tabac est avant tout une affaire d’hommes. Si la proportion de fumeurs chez les femmes reste faible, les chercheurs notent une progression discrète mais constante dans les zones urbaines. Cette tendance est portée par une stratégie marketing redoutable : cigarettes « slim », arômes sucrés, emballages pastel, campagnes publicitaires déguisées sur les réseaux sociaux.
« L’industrie du tabac cible désormais les jeunes femmes, en associant la cigarette à la liberté et à la modernité. C’est une manipulation psychologique bien orchestrée », prévient la Ligue sénégalaise contre le tabac (LISTAB).
Les jeunes adultes, notamment entre 18 et 34 ans, constituent la catégorie la plus vulnérable. Pour beaucoup, fumer commence « pour essayer » et devient vite une habitude ancrée.
Le rapport GATS-II tire la sonnette d’alarme sur l’exposition passive : des millions de Sénégalais non-fumeurs sont exposés chaque jour à la fumée du tabac, que ce soit dans les maisons, les bureaux ou les transports publics. Les femmes et les enfants sont les plus touchés.
Dans quatre foyers sur dix, on fume encore à l’intérieur du domicile. Une habitude qui transforme la maison en « chambre à gaz domestique », selon les mots d’un médecin de Pikine. « Les enfants de fumeurs inhalent des centaines de substances toxiques, y compris la nicotine, même s’ils n’ont jamais touché une cigarette », rappelle le rapport.
La dépendance est toujours tenace. La moitié des fumeurs souhaitent arrêter, et un quart ont même tenté de le faire au cours de l’année écoulée. Mais l'envie est freinée par un manque de soutien.
Les moyens pour y parvenir restent dérisoires :
« Les fumeurs ne manquent pas de volonté, ils manquent de soutien », constate un tabacologue du CHU de Fann.
Sur le papier, les lois sénégalaises contre le tabac sont exemplaires (interdiction de fumer dans les lieux publics, interdiction de publicité, avertissements sur les paquets). Mais dans la pratique, le respect des interdictions reste aléatoire.
« Les textes sont bons, mais ils dorment dans les tiroirs », résume un inspecteur d’hygiène. Les contrôles sont rares, les sanctions quasi inexistantes, et la contrebande de tabac inonde le marché de produits non conformes. L’ANSD plaide pour un sursaut de rigueur et de cohérence.
De plus, le rapport rappelle que la taxation reste l’arme la plus efficace. Or, le prix des cigarettes demeure abordable. L’OMS recommande une fiscalité représentant au moins 75 % du prix de vente; le Sénégal n’en est pas encore là. Augmenter les taxes, indexer les prix sur l’inflation et renforcer la traçabilité sont des recommandations phares du GATS-II.
Malgré que plus de 90 % des personnes interrogées connaissent les risques du tabac, la banalisation du geste persiste. Les experts appellent à réinventer la communication.
Pour inverser la tendance, le rapport propose une feuille de route claire :
« Le Sénégal dispose des outils nécessaires pour inverser la tendance. La question n’est plus de savoir si nous devons agir, mais jusqu’où nous sommes prêts à aller pour protéger nos citoyens », conclut le rapport.
Commentaires (1)
Le titre n'est pas adéquat de dire que le Sénégal reste prisonnier. C'est une impuissance coupable ! Réglementer est très facile pour contrer le tabagisme, il faut juste le vouloir. Maintenant, si l'on préfère percevoir des redevances au détriment de la santé publique, c'est autre chose. Si la population se mobilise et menace de porter plainte contre l'État et l'industrie, les choses changeront rapidement.
Comme presque partout en Afrique et pays pauvres ailleurs. Grosse corruption de ces multinationales plus communication déguisée et enfin circuits parallèles de diffusion au détails, surtout dans les zones les plus pauvres.
Et voilà relis toi pour comprendre toi-même tu confirmes le titre. Ce manque de volonté dont tu parles représente la "la prison". Quant à la mobilisation du peuple, vous mettez où le combat de la société civile contre le tabac
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