Le documentaire Président Dia du réalisateur Ousmane Willam Mbaye projeté, mardi à l’Institut français de Dakar, replonge dans la crise de 1962 entre Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. Le président du Conseil «rétablit une vérité».
C’est un fait historique majeur de l’histoire politique du Sénégal que l’on revisite avec le documentaire Président Dia de Ousmane William Mbaye. Il a été projeté mardi en avant-première mondiale à l’Institut français de Dakar. Le film de 54 minutes redonne la parole à l’ancien président du Conseil, Mamadou Dia (1956-1962) pour qu’il explique les évènements du 17 décembre 1962. Tout au long du documentaire, Dia, donne sa version sur les causes de la rupture avec son compagnon de dix-sept ans, le président Léopold Sédar Senghor. «Je me suis senti trahi la première fois lorsqu’il m’a dit qu’il a promis aux Français de voter Oui en 58, c’était une douche froide», dit Dia face à la caméra. Il y aura une deuxième et Mamadou Dia évoque ses voyages dans les pays de l’Est particulièrement en Urss (actuel Russie). «Il ne faut pas se contenter des relations avec la France, il fallait diversifier. Je crois que ce succès, cette orientation vers l’Est, est une des choses qui est à la base de la crise de 1962», affirme le président du Conseil qui révèle à Abdou Diouf en août 1962 «il y a des gens qui veulent briser cette amitié entre Senghor et moi, vieux de dix-sept ans, ils n’y arriveront pas, rassure-toi !».
Dans sa volonté de savoir s’il y a eu coup d’Etat ou pas, le réalisateur interroge d’autres témoins de cette époque pour comprendre la séparation : Dialo Diop Blondin, codétenu de Mamadou Dia, Roland Colin, son directeur de cabinet, Abdou Diouf, ancien président de la République et gouverneur du Sine Saloum à l’époque, ses ministres Amadou Makhtar Mbow, ex-directeur général de l’Unesco, Cheikh Hamidou Kane… Chacun tente d’expliquer sans répondre directement s’il y avait réellement un coup d’Etat ou non en 1962. Le film livre par témoignages interposés le caractère des deux hommes. Mamadou Dia est peint comme un grand patriote sénégalais ayant une vision internationaliste, pas du tout communiste et qui voulait que les ressources du pays servent aux plus démunis. Senghor était le dirigeant «régulier, poète, le chantre de la négritude», Mamadou Dia, le chef «séculier, développeur de l’économie sénégalaise», celui dont l’autorité a pu à la longue être une sorte d’autoritarisme. Un autre personnage invisible du film, le musicien Doudou Doukouré, dresse le portrait de Dia. Les deux hommes, dit-on, se complétaient. Car, Senghor révèle qu’il a découvert Mamadou Dia il y a dix-sept ans et qu’il l’a poussé à épouser la carrière politique. Cet homme «entier» qui a consacré toute sa vie au projet politique senghorien était alors son «Baay Fall». Malgré son emprisonnement de douze ans à Kédougou, Dia affirme avoir encore de la tendresse pour Senghor. Il n’a aucune rancune sur le plan personnel contre lui. Mais ce qu’il ne peut pas pardonner, c’est son «acte de folie, d’égoïste, de pouvoir personnel», qui a conduit le pays aujourd’hui là où il est.
La force du documentaire réside dans ce parallélisme fait avec l’élection présidentielle de 2012, 50 ans après cette crise de 1962. Les images montrent des jeunes assis à la place de l’Obélisque exigeant le respect de la Constitution et le départ de Abdoulaye Wade. Et celle de cette matinée de 62 devant l’Assemblée nationale où une motion de censure contre Mamadou Dia est brandie pour le respect de la Constitution et de la loi. «Un procès entre la Constitution et la primauté du parti», annonce-t-on aux Actualités sénégalaises. Dans les deux cas, le peuple est mis en exergue. Le film n’est pas aussi «sombre» que l’est cette page d’histoire, car certaines déclarations font parfois sourire même si d’autres soulèvent de vives émotions de tristesse. Il est aidé en cela par la cohérence du montage des images d’archives : coupures de presse, photos, éléments visuels et sonores, acquises grâce à la collaboration de l’Institut national de l’audiovisuel français.
50 % des images rappellent un autre documentaire, Valdiodio Ndiaye, l’indépendance du Sénégal des réalisateurs Eric Cloué et Amina Ndiaye Leclerc (fille de Valdiodio) qui évoque aussi cette crise de 1962. Car Ndiaye ministre de l’Intérieur du Sénégal à l’époque est accusés avec Dia de complot contre l’Etat par Senghor. Président Dia, qui sera projeté vendredi et lundi prochain à l’Institut français de Dakar, est sélectionné aux Journées cinématographiques de Carthage prévues du 16 au 24 novembre prochain en Tunisie. Cette avant-première mondiale du film organisé, avant-hier, lors de la journée du documentaire sénégalais rend hommage au cinéaste Samba Félix Ndiaye le 6 novembre de chaque année. Elle est initiée par l’Association sénégalaise de la critique cinématographique.
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