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[Zoom sur…] Île de Saint-Louis : Un héritage français en Afrique de l’ouest 5/5

Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara Diouf, Babacar Sène, Oumar Samb

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Les vestiges de cet ancien comptoir commercial normand érigé en 1633, devenu l’épine dorsale de l’administration coloniale française en Afrique de l’ouest avant de sombrer dans l’oubli au lendemain des indépendances, menacent de s’écrouler emportant son passé. Ce riche récit historique qui relate une période faste où l’île de Saint-Louis était le centre de la puissance impérialiste française, risque de disparaître de la mémoire collective faute de transmission et en raison d’un rejet grandissant du passé colonial.
 
Petit coin de paradis flirtant avec le fleuve Sénégal et l’océan Atlantique, l’Île de Saint-Louis étale toute la magie de la nature. Coincé entre la flèche littorale de la Langue de Barbarie et le reste de la ville, c’est un petit quartier pittoresque d’une superficie de 65 hectares (2,5 kilomètres de long sur 200 à 300 mètres de large) où l’architecture coloniale, symbole d’un riche passé, résiste encore -quoique difficilement- à l’usure du temps. Les berges du fleuve tranquille tracent les contours de cette île urbaine située à l’embouchure, reliée au continent par le mythique pont Faidherbe et à la fine presqu’île sablonneuse de la Langue de Barbarie par les ponts Moustapha Malick Gaye (maire de Saint-Louis 1928 à 1935) et Ousmane Masseck Ndiaye (maire de Saint-Louis de 2002 à 2009).
Ndaar Guedj (regarde la mer, en Puular) comme on la surnomme en raison de son positionnement géographique, est la plus ancienne colonie française en Afrique et fut d’ailleurs la capitale de l’AOF (Afrique occidentale française). Une période glorieuse qui a duré plus de deux siècles dont Saint-Louis garde un souvenir vivace.  Son architecture avec ses monuments historiques en brique de terre cuite et ses maisons ornées par des balcons en bois et des balustrades en fer forgé, sont les vestiges de son héritage colonial. Une influence française de plusieurs siècles qui se répand jusque dans le mode de vie -ce raffinement légendaire par lequel on reconnaît le Saint-louisien-, la culture et même l’éducation.
 
L’histoire de la présence française dans la région remonte précisément en 1633 avec l’arrivée des premiers Normands Dieppois (français) à la recherche de l’Ivoire. Une période charnière dans l’histoire de l’île de Saint-Louis alors terre vierge sous le joug du Brak du Waalo, selon le Professeur Abdoul Sow, Directeur du Centre de recherche et de documentation du Sénégal (CRDS). Toute la mémoire de cette ville est gardée dans ce centre : les publications du journal officiel du Sénégal colonial, des revues, les photos des réunions du conseil colonial…, de très vieux documents d’une valeur historique et scientifique « inestimable ».
 
D’île vierge à comptoir commercial français
Le Pr Sow reçoit Seneweb dans ces locaux qui abritaient l’ancien siège de l’IFAN Sénégal-Mauritanie pour une plongée dans l’histoire, un voyage dans le temps. « L’île de Saint-Louis du Sénégal, est une ville emblématique dans l'armature urbaine sénégalaise et même africaine. Ce sont les Normands qui étaient venus ici à la recherche de l'ivoire qui sont les premiers français à s’installer dans la région de Saint-Louis. La ville de Dieppe en France, en Normandie, est une ville spécialisée dans le travail de l'ivoire qui servait à orner les églises européennes. Donc ces gens étaient venus là à la recherche de la matière première », raconte-t-il. Ces Dieppois s’étaient installés dans une autre île beaucoup plus à l’aval. Celle-ci était « souvent victime d'inondations », souligne l’enseignant-chercheur.
 
Il a fallu attendre un peu plus d’une décennie (en 1659) pour que l’actuelle île de Saint-Louis inhabitée, soit rachetée au Brak du Waalo. « À l'époque, confie le conservateur du CRDS, il y avait une superstition qui disait qu'en Afrique, les gens n'allaient pas vivre dans les îles parce qu'on considérait qu'en vivant dans les îles, on allait mourir jeune. Donc les îles étaient quasiment vierges ». De 1659 date de sa création en 1854 avec l’arrivée du gouverneur Louis Faidherbe, l’île de Saint-Louis jouait le rôle de comptoir commercial, une plaque tournante de l’exportation de l'ivoire, de l'or du Ngalam et du Bourré, de la gomme arabique, et surtout des esclaves.
 
« Beaucoup d'esclaves ! D'après les statistiques qu'on a en archive, il passait jusqu'à 10 000 esclaves par an à Saint-Louis. Et l'essentiel de ces esclaves se retrouvaient dans des villes, telles que la Nouvelle Orléans, telle que aussi la ville de Saint-Louis en Mississippi. Tout ce commerce se faisait à la place Baya, actuelle place Faidherbe », narre-t-il.
« Reconquérir le monde à partir de Saint-Louis »
 
L’île continuera à jouer ce rôle de centre commercial, avec son port de débarquement et sa gigantesque grue qui y trône encore, jusqu’à la défaite de Napoléon à Waterloo. Saint-Louis tombe sous domination Anglaise jusqu’au fameux traité de Paris en 1815. Celui-ci a ouvert la voie à une expansion coloniale plus poussée dans la région africaine, avec Saint-Louis comme base d'opérations.
 
« Lors des accords de Waterloo (ou accords de Paris), les Français ont accepté de céder le Québec pour garder Saint-Louis. La France avait l’ambition de reconquérir le monde à partir de Saint-Louis. C'est pourquoi les Québécois (des français établis au Canada) n'oublient pas cet épisode historique jusqu'à présent qui envenime leurs relations avec la France. Donc à partir de 1820, les Français ont préparé l'avènement en achetant un grand jardin à Richard Toll, et dans ce jardin, ils voulaient expérimenter des cultures agricoles dans la vallée pour faire une colonie de peuplement à partir du Sénégal », explique le Chercheur à l’UFR CRAC de l’UGB. Une période cruciale de l’histoire presque méconnue.
 
L’arrivée de Faidherbe et l’émergence d’une ville coloniale
De comptoir commercial, l’île deviendra ainsi une ville coloniale et le centre de l’administration impérialiste française dans la région africaine, avec l’arrivée de Louis Faidherbe (officier du génie) comme gouverneur du Sénégal à partir de 1854 après un passage en Algérie. En effet, l’arrivée de Faidherbe, relate le directeur du CRDS, a favorisé la réalisation de « grands travaux » pour la ville de Saint-Louis. « C'est lui qui va d'abord construire le premier pont Amadou Malik Gaye qui desserre la langue de Barbarie et le quartier des pêcheurs de Guet Ndar à partir de 1855 », renseigne M.Sow. C’est le début de l’émergence de la ville de Saint-Louis.
 
Puis, à partir de 1860, un pont flottant est construit reliant l’île au quartier de Sor. Un nouveau pont en structure métallique plus moderne sera construit une trentaine d'années plus tard entre 1894 et 1897 sur les fonds de la colonie du Sénégal. Il s’agit de l’actuel pont Faidherbe qui est le symbole de toute la région de Saint-Louis. « Ce pont a été financé sur les fonds du Sénégal. Donc, c'est vraiment un patrimoine bien sénégalais contrairement à ce qui est véhiculé. Parce qu'à l'époque, la France n'avait pas d'argent. Ce sont les impôts locaux qui ont financé intégralement ce projet. Eiffel avait postulé mais c'est celui de Nouguier, Kessler et Cie (ancienne maison Joly d'Argenteuil) qui a été retenu », précise Pr Sow.
 
Finalement, le joyau en treillis d’acier d’un poids de 1300 tonnes, d’une longueur de 508 mètres avec 7 travées dont une tournante permettant le passage des bateaux, sera inauguré en 1897 par le ministre des colonies, André Lebon. Aujourd’hui, plus d’un siècle plus tard, le pont ainsi que les vestiges de la colonisation (la gouvernance, le palais du gouverneur, les Rogniats, etc.) font partie de l’héritage colonial que l’île de Saint-Louis -inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco- tente de sauvegarder notamment face à une vague de contempteurs qui rêvent de réécrire l’histoire en gommant toute trace di « négrophobe » Faidherbe « auteur de plusieurs exactions ».
 
Faidherbe, un héritage qui divise
 
L’opération « déboulonnage de la statue de Faidherbe » lancé par plusieurs Sénégalais dont l’ancien président du groupe parlementaire Benno Bokk Yaakar (BBY), Moustapha Diakhaté et amplifiée par un mouvement anti-raciste international charrié par la mort de George Floyd aux États-Unis, a ainsi trouvé un vent favorable. « Déboulonner la statue de Faidherbe : une exigence non négociable. Pour mériter d’avoir sa statue dans un territoire, il faut faire partie des grandes femmes ou des grands hommes de l’histoire d’un pays. Ce qui n’est pas le cas du colonisateur sanguinaire Faidherbe », avait publié l’ancien député sur sa page Facebook.
 
Cette statue de trois cent cinquante kilos de bronze, est une représentation de l’ancien gouverneur avec une épée dans une main, et un képi dans l’autre, avec une plaque en marbre sur laquelle il est écrit : « À son gouverneur L. Faidherbe, le Sénégal reconnaissant ». Pour beaucoup de sénégalais et Saint-Louisiens qui sont engagés dans ce combat, déboulonner la statue de Faidherbe et rebaptiser les rues qui portent les noms d’anciens acteurs coloniaux français est l’affirmation d’une souveraineté.
 
Chahutée et menacée de déboulonnage, la statue est tombée en Septembre 2017 à la suite d’une rafale de vent. « Depuis, signale Pr Abdoul Sow, elle est gardée ici à la CRDS ». La croisade pour le changement de noms des symboles de la ville (pont Faidherbe, place Baya, entre autres) ne faiblit toujours pas.
 
Auteur: Thiebeu NDIAYE, Bara Diouf, Babacar Sène, Oumar Samb | Publié le: mardi 01 juillet 2025

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