Actualités Sénégalaises et Luttes Populaires
Au Sénégal, suivre les actualités n’est jamais un exercice neutre. Les chaînes et les journaux appartiennent souvent à des groupes économiques ou politiques qui protègent leurs propres intérêts. Résultat ? Les conflits sociaux, les grèves, les colères populaires se retrouvent minimisés. On parle de “désordre” ou de “perturbations” mais rarement des causes réelles. Pourtant, c’est bien là, dans ces luttes, que s’écrit une partie de l’histoire contemporaine.
Le pays reste massivement jeune : plus de la moitié des Sénégalais ont moins de 25 ans. Pourtant, les représentations médiatiques ne laissent apparaître cette jeunesse qu’à travers des scènes fragmentées : foules en liesse, confrontations avec la police, figures spectaculaires mais isolées. Tout le reste disparaît : le patient travail d’organisation associative, les expériences coopératives, les solidarités construites au quotidien. Comme si la jeunesse ne pouvait exister qu’en pure énergie sociale, privée de sa portée politique. Cet effacement partiel n’a rien d’accidentel : c’est une stratégie de neutralisation.
Enseignants, agents de santé, pêcheurs : autant de professions engagées dans des luttes persistantes. Ils réclament des salaires dignes, du matériel adapté, des conditions de travail humaines. Pourtant, lorsqu’ils font irruption dans l’espace médiatique, c’est presque toujours par le biais d’un récit négatif : la gêne infligée aux usagers, les services interrompus, la “perturbation”. Comme si les revendications elles-mêmes perdaient tout sens. Cette focalisation n’est pas neutre : elle réduit les conflits sociaux à de simples blocages, effaçant l’exigence de justice qui les fonde.
Les réseaux sociaux se présentent comme des fissures dans l’édifice médiatique dominant, ouvrant à une génération entière des possibilités inédites de prise de parole : directs improvisés, hashtags viralisés, campagnes locales capables de franchir des frontières. Pourtant, cette liberté supposée se déploie sous condition. Car derrière chaque interface séduisante se tient une architecture de pouvoir global : multinationales fixant les règles du jeu, accumulant des données intimes, modulant la visibilité par des algorithmes opaques. L’outil d’émancipation, célébré comme espace démocratique, peut se métamorphoser à tout instant en dispositif disciplinaire, où l’expression devient traçable, contrôlable, réversible en surveillance.
Le sport, au Sénégal comme ailleurs, est investi d’une centralité sociale qui dépasse largement le divertissement. Le football ou la lutte traditionnelle incarnent des formes de cohésion collective, des rites populaires. Mais cette dimension symbolique et culturelle se voit constamment parasitée par la logique marchande. Les droits télévisés, les sponsors transnationaux, les plateformes de paris — telles que 22Bet — convertissent la ferveur en capital. Dès lors, le terrain cesse d’être un espace de jeu partagé : il devient une infrastructure de valorisation financière, où les corps, les passions, les victoires elles-mêmes sont intégrées dans une mécanique d’extraction destinée aux puissants.
Chaque année, la diaspora envoie des milliards. Des transferts qui sauvent des familles entières. Pourtant, dans l’actualité, cette diaspora est réduite à des flux financiers. Ses voix politiques, ses critiques, ses propositions passent à la trappe. Comme si l’argent comptait, mais pas la parole. Or ces millions de Sénégalais vivant ailleurs portent une expérience précieuse : celle de l’exil, mais aussi celle de la résistance.
Regarder le journal, lire un article, c’est déjà entrer dans un rapport de force. Car ce qui est dit, ce qui est tu, ce qui est grossi ou effacé, tout cela obéit à des intérêts. L’actualité n’est pas neutre. C’est une construction permanente où les élites cherchent à imposer leur récit et où les classes populaires tentent de se faire entendre.
On ne peut comprendre les actualités sénégalaises sans évoquer le poids de l’histoire coloniale et néocoloniale. Les silences médiatiques ne sont pas seulement des choix éditoriaux : ils sont aussi l’héritage d’un cadre construit pour protéger les élites locales et les intérêts étrangers. Ainsi, les récits dominants tendent à réduire les mobilisations populaires à des moments d’instabilité, quand en réalité elles constituent des continuités de luttes. Ce décalage impose une lecture critique : que signifie raconter le présent si l’on efface systématiquement le passé qui le rend intelligible ?
Le numérique, en bouleversant la circulation de l’information, recompose les rapports de pouvoir. Mais il ne suffit pas de célébrer la “démocratisation” apparente des voix. Derrière chaque clic se cache un algorithme qui privilégie certains contenus, invisibilise d’autres, fragmente les communautés en bulles isolées. Ce filtrage algorithmique crée une actualité à géométrie variable, où la hiérarchie de l’information n’est plus seulement imposée par les rédactions, mais par des calculs opaques au service de plateformes globales.
Il est frappant d’observer que les nouvelles dites “importantes” concernent presque toujours les marchés, les projets d’investisseurs, les annonces gouvernementales. En revanche, les luttes quotidiennes des quartiers, des paysans, des femmes ou des jeunes sont renvoyées à la marge. Ce tri n’est pas accidentel : il exprime la logique d’une actualité façonnée pour les classes dominantes. En ce sens, chaque journal télévisé, chaque une de presse, devient un miroir déformant qui renvoie la société vers une image amputée de ses forces populaires.
L’actualité sénégalaise ne doit pas rester une vitrine contrôlée par quelques-uns. Elle doit devenir un espace de lutte, un outil au service des dominés. Chaque vidéo partagée, chaque mobilisation, chaque journal alternatif prouve qu’il est possible de raconter autrement. La question est simple : qui écrit l’histoire ? Tant que les puissants tiennent la plume, le peuple restera spectateur. Mais lorsqu’il prendra la parole, l’actualité cessera d’être un spectacle pour devenir une arme.
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