Lanceurs d’alerte au Sénégal : entre espoir de transparence et nécessité de prudence (par Alassane B. DIARRA)
Le Sénégal s’apprête à doter son arsenal juridique d’un texte attendu sur la protection des lanceurs d’alerte. L’ambition est juste : encourager la transparence, récupérer les avoirs illicites, restaurer la confiance. Mais pour réussir, la réforme doit se prémunir des effets pervers : fausses alertes malveillantes, “chasse à la prime” autour de la récompense de 10 %, risques réputationnels pour les personnes et pour le climat des affaires, zones grises de gouvernance. Ce plaidoyer propose une lecture équilibrée : oui à la protection forte, oui aussi à des garde-fous solides.
Le texte définit le lanceur d’alerte comme toute personne physique qui, dans un cadre professionnel, signale de bonne foi des informations relatives à un crime ou délit financier, une menace à l’intérêt général ou des violations affectant la gestion des finances, dans le secteur public comme privé. Sont exclus les secrets légalement protégés. Il ouvre aussi la protection aux aidants/entités liés au lanceur d’alerte et au prête-nom qui se dénonce volontairement pour des avoirs illicites.
Deux canaux de signalement sont prévus : interne (auprès d’un référent désigné par l’entité) et externe (auprès de l’organe anti-corruption), avec possibilité d’anonymat. Des délais de retour sont fixés : 2 mois (référent) et 3 mois (OFNAC). En cas d’inaction, de risque de destruction de preuves ou de conflit d’intérêts, la divulgation publique devient possible.
Le cœur du dispositif est la protection contre les représailles, avec une liste large, l’immunité civile et pénale pour les alertes conformes à la loi et la confidentialité de l’identité des personnes.
Le texte introduit l’auto-dénonciation (restitution volontaire des avoirs illicites avant toute procédure), ouvrant droit à la dispense de poursuites sous condition de remboursement intégral.
Enfin, il crée un Fonds spécial destiné à financer des projets sociaux et à récompenser le lanceur d’alerte jusqu’à 10 % des montants recouvrés. Les règles de gestion du Fonds seront précisées par décret.
Selon Transparency International, le Sénégal se classe 70ᵉ sur 180 pays dans l’Indice de Perception de la Corruption (IPC) 2024, avec un score de 43/100. Un chiffre qui illustre à la fois des efforts réalisés et des défis persistants. Les pertes annuelles liées à la corruption fragilisent la confiance citoyenne et compromettent l’attractivité économique du pays.
Le projet de loi n°13/2025 prévoit de protéger toute personne dénonçant des faits de corruption, fraude ou détournement. Une avancée démocratique qui marque une étape importante. Mais plusieurs dispositions, notamment celles liées principalement à la récompense financière et aux fausses alertes suscitent déjà des débats houleux.
L’article 20 propose d’accorder 10 % du montant recouvré au lanceur d’alerte. Une mesure qui peut inciter à la dénonciation, mais qui risque aussi de favoriser des signalements opportunistes et de créer un climat de suspicion dans les entreprises. Un danger qui peut aussi inquiéter particulièrement les investisseurs.
Le texte reste flou sur les sanctions applicables aux fausses alertes de mauvaise foi. Or, une dénonciation infondée peut ruiner la réputation d’une institution ou d’une personne physique et affaiblir durablement son image. La loi doit impérativement protéger la présomption d’innocence et prévoir des sanctions dissuasives contre les abus.
Les institutions financières et partenaires de développement attendent du Sénégal un cadre juridique clair et équilibré. Une loi mal calibrée pourrait avoir des effets inverses : affaiblir la confiance, ralentir les investissements et dégrader le climat des affaires.
Le projet de loi prévoit un premier canal de signalement interne via un référent désigné par l’entité. En théorie, ce mécanisme rapproche l’alerte de son lieu d’occurrence. En pratique, il présente plusieurs difficultés :
La disposition qui prévoit une prime de 10 % des montants recouvrés, bien qu’innovante, risque de transformer l’alerte en instrument de spéculation. L’alerte doit rester un acte citoyen motivé par l’intérêt général, et non par une recherche de gain personnel.
Solution : remplacer ce mécanisme par un fonds d’accompagnement consacré à la protection juridique, sociale et psychologique des lanceurs d’alerte, afin de garantir leur sécurité sans introduire d’incitation financière directe.
Les fausses alertes, lorsqu’elles sont faites de mauvaise foi, peuvent porter gravement atteinte à la réputation des personnes et des institutions. Elles nuisent à la crédibilité du dispositif et créent un climat de méfiance.
Solution : prévoir dans la loi un régime de responsabilité clair pour les auteurs de
dénonciations malveillantes, combinant sanctions pénales proportionnées et réparation civile au profit des victimes. La protection doit être strictement réservée aux lanceurs d’alerte agissant de bonne foi et avec des motifs raisonnables.
Les régies financières de l’État Impôts et Domaines, Douanes, Trésor public etc. constituent des administrations stratégiques et sensibles pour les finances publiques. Elles sont au cœur de la mobilisation des ressources nationales et de la crédibilité budgétaire du pays. Solution : mettre en œuvre la loi dans un premier temps dans le secteur public, en commençant par ces entités stratégiques. Cette phase pilote permettrait de consolider l’expérience, d’ajuster les mécanismes de protection et d’anticiper une extension graduelle vers d’autres secteurs, y compris le secteur privé.
Alassane B. DIARRA Citoyen Sénégalais
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