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[Naufrage du "Joola", 23 ans après] Boubacar Ba, président d’honneur ANFVR-Joola : « Beaucoup de familles estiment que des ossements peuvent être exposés »

Auteur: Max Euclide KANFANY Correspondant à Ziguinchor

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[Naufrage du "Joola", 23 ans après] Boubacar Ba, président d’honneur ANFVR-Joola : « Beaucoup de familles estiment que des ossements peuvent être exposés »

26 septembre 2002-26 septembre 2025. Il y a 23 ans (jour pour jour) que le bateau « le Joola » chavirait au large des côtes gambiennes, entraînant la mort de près de 2 000 passagers, alors que le ferry devait en contenir 550. Une tragédie qui a mis à nu des défaillances en matière de sécurité maritime et le mauvais comportement des usagers. Le thème choisi pour ce 23e anniversaire sonne comme une piqûre de rappel adressée à l’ensemble des Sénégalais : « 23 ans après 'le Joola' : L'urgence du souvenir, l'impératif du changement de comportement ». Dans cet entretien accordé à Seneweb, Boubacar Ba, président d’honneur de l’Association nationale des familles des victimes et rescapés du "Joola" (ANFVR-Joola) revient sur ces points essentiels du thème, non sans remettre sur la table la question du renflouement de l’épave. Entretien ! 

Vous êtes président d'honneur de l'Association nationale des familles des victimes et rescapés du "Joola". L'association a connu beaucoup de péripéties. Aujourd'hui, quelle est l’approche pour la prise en charge réelle des doléances des familles des victimes et rescapées du "Joola" ?

Je vais faire un petit rappel, au lendemain du naufrage du "Joola", avec la création, d'abord, de l'Association des rescapés qui a été la première association mise en place. Parce qu’en ce temps, nous étions vraiment un peu perdus avec l'ampleur de ce drame. Par la suite, les gens se sont organisés en association régionale. C’est en 2003 que l'Association nationale - qui regroupe l'ensemble des associations régionales et l'Association des rescapés - a été créée à ce titre, puisque l'État voulait avoir en face un interlocuteur pour vraiment parler, discuter de ce drame et voir tous les points qu'il fallait poser.

Donc, c'est sous ce rapport que nous, en tant que structure nationale, nous avons évoqué : la question de la justice, la question de la prise en charge des familles globalement. Surtout la question de la prise en charge des orphelins du "Joola". On en avait recensé 1 900. Et, bien sûr, tout ce qui a trait au dossier : le renflouement de l'épave, l'ensemble des questions qui tournent autour du drame pour le compte des familles des victimes et au-delà aussi poser quelques revendications qui ont constitué les causes lointaines du drame, à savoir la problématique de l'enclavement de la Casamance.

Parce qu'il faut le rappeler, ce navire a été acquis pour désenclaver la Casamance sur le plan maritime. Et donc, nous avons estimé que nous ne pouvions pas simplement nous limiter aux revendications propres aux familles des victimes, mais dans le contexte de crise de la Casamance et aussi de la problématique de l'enclavement de la Casamance. Donc, toute une panoplie de revendications qui ont été posées sur la table de l'État.

Comme vous l'avez dit, chemin faisant, beaucoup de questions ont été abordées. Des solutions ont été apportées. Il faut dire aussi la vérité concernant les efforts de l'État sur la question de l’enclavement de la région naturelle de la Casamance, avec l’acquisition de trois navires : "Aline Sitoé", "Aguene" et "Diambogne". Il y a aussi le dragage du fleuve, la construction des deux gares maritimes, à Ziguinchor et à Dakar, le wharf de Carabane, puisque l'escale de Carabane nous tenait beaucoup à cœur. Le bateau n'acceptait pas de faire une escale à l’île de Carabane ; il était là tout simplement pour pouvoir prendre d'autres passagers à bord de pirogues. C'était vraiment du n’importe quoi. L'État a beaucoup fait dans ce sens-là.

Concernant l’université aussi, qui l’une de nos plus belles réussites, elle est née du fait que plus de 400 élève et étudiants avaient péri dans ce drame. Nous avons posé la problématique de l'université, pour dire au chef de l'État, à l'époque Abdoulaye Wade, qu'il fallait créer une université régionale pour absorber tout le flux d'étudiants obligés de se rendre à Dakar ou ailleurs pour étudier. Ce qui a valu aujourd'hui la construction de l'université Assane Seck. Tous les étudiants qui y sont orientés aujourd’hui le doivent aux familles des victimes.

Autre chose : nous avons, à l'époque, aussi soumis à l'État un plan pour accompagner cette jeunesse formidable qui est là. Donc il fallait créer le fonds d'insertion doté de 2 milliards pour la jeunesse casamançaise. Et ça, nous l'avons fait pour le compte des populations.

Bref, voilà tout ce qu'on a pu réaliser ces 23 dernières années. Et l'évolution du temps nous a démontré que par la suite, 23 ans après, certaines questions propres, liées aux familles demeurent toujours d'actualité, à savoir : le renflouement, la question de la lumière sur le naufrage.

« Beaucoup de familles estiment que des ossements peuvent être exposés, comme le Rwanda l'a fait dans ce cas du génocide »

Pourquoi vous tenez toujours à faire la lumière sur ce drame, alors que les poursuites qui avaient été entamées en France et au Sénégal n’ont pas abouti à des condamnations ?

Parce que c'est la plus grande catastrophe maritime civile jamais connue par l'humanité. Et nous estimons que cette question ne peut pas être rangée pour perte et profit. C'est donc pour cela que nous estimons que c'est un levier important, un aspect important qui doit être éclairé. Pour que justice soit faite au nom des familles de victimes. Pas en termes de vengeance comme nous l'avons expliqué tantôt, mais sincèrement pour faire de sorte que plus jamais de telles situations ne se répètent plus dans notre pays.

Au-delà, les questions aussi qui reviennent, c’est la prise en charge des orphelins et le renflouement, bien sûr, même si 23 ans après, d'aucuns estiment que ce n'est plus une question d'actualité. Mais nous estimons que même si l'épave ne peut pas être mise dehors, le contenu de l'épave peut servir au mémorial. La preuve, on a sorti les deux hélices, on a sorti quelques objets personnels, mais nous estimons que ce n'est pas assez. Parce que l'envergure du mémorial nous permettrait certainement de mettre d'autres éléments.

Beaucoup de familles estiment que des ossements peuvent être exposés, comme le Rwanda l'a fait dans ce cas du génocide. Mais ces questions, évidemment, il faut les partager. Ce sont des questions très sensibles. Mai je pense que si on a la volonté réelle, on peut aller de l'avant pour ne plus revenir sur ces questions récurrentes en termes de revendication.

Justement, s’agissant du renflouement de l’épave du "Joola", qui est une vieille doléance jusqu’ici insatisfaite, aujourd’hui, avez-vous espoir que les nouvelles autorités puissent accéder à cette demande ?

Oui, absolument. Il y a une volonté réelle, sincère de la part du nouveau régime. Je pense que le président de la République a donné des instructions par rapport à la commémoration. Il a instruit tous ses ministres à faire en sorte d’accéder aux revendications propres des familles et de les accompagner en fonction, bien entendu, des moyens de l'État. Nous sommes donc très sereins et confiants que, certainement avec les nouvelles autorités, nous aurons gain de cause par rapport à cette problématique du renforcement.

Je voudrais d'ailleurs profiter de l'occasion pour dire que nous, en ce qui nous concerne, à l'époque, nous avions fait d'autres démarches auprès de la Commission européenne avec Louis Michel. Il était le commissaire chargé du développement économique au niveau de la commission qui avait donné son feu vert sur le plan financier et technique. Mais il n'y a pas eu de suivi au niveau local, malheureusement. Raison pour laquelle donc, nous en sommes là et je pense que nous allons certainement évoluer avec certainement les nouvelles autorités. Nous allons d'abord poser ces questions pour vraiment transcender cette problématique.

Aujourd'hui, 23 ans après, le combat que vous menez milite aussi contre l'oubli. Selon vous, quel levier ou quelle stratégie permettront de relever ce défi ?

D'abord, avec l'existence du mémorial, il faudrait que les familles puissent se retrouver dans leur maison. C'est un excellent monument, puisque nous avons été associés, lorsqu'on faisait l'appel d'offres en ce qui concerne le plan architectural et  c'est moi-même qui ai choisi cette forme de bateau, puisque c'était avec l'Ordre des architectes. Donc, ce que vous voyez aujourd'hui, c'est l'expression même des sentiments des familles, parce que quand on va sur ce monument, ça nous rappelle effectivement le bateau "le Joola".

Si on s'y attarde un peu et que l'État met la volonté pour permettre aux familles de se retrouver en tant que partie prenante de la gestion du mémorial - une gestion collégiale, inclusive entre l'État et nous -, je pense que ce serait un formidable outil. 

Dans une récente sortie, vous avez interpellé les autorités sur l'introduction de l'histoire du "Joola" dans les programmes scolaires. Aujourd'hui, qu'en est-il ? 

Absolument. On a commencé cette année. Si vous regardez très bien, l'initiative des orphelins, en ce qui concerne la Journée internationale du "Joola" à l’université Assane Seck et à l'université de Dakar, constitue un départ dans ce sens-là. C'est-à-dire que la rencontre avec les étudiants a permis aussi de lever un coin de voile sur cette problématique du "Joola" pour que ces étudiants puissent s'imprégner de ce qui s'est passé à travers l'offre du journal.

Nous avons interpellé d'abord le monde universitaire, les professeurs, les recteurs, etc. C’est surtout qu'il faudrait que le ministre de l'Éducation nationale et le ministre de l'Enseignement supérieur, puissent en faire un levier important. Nous, quand nous étions petits, nous apprenions l'histoire des autres. Alors que nous, on a un formidable atout et un levier important, parce que le "Joola", il faut le positiver. C'est dans cet esprit que nous voyons l'histoire racontée du naufrage, surtout par les rescapés. Ils l'ont vécu. Aujourd'hui nous avons eu une séance extraordinaire au mémorial, avec le témoignage des rescapés comme Léandre Coly, Cheikh Niang, qui ont livré leur propre vécu durant ce drame.

J'avoue que sincèrement, on avait la chair de poule, compte tenu de ce qu'ils nous ont donné comme informations sur ce qu'ils ont vécu et avec les étudiants qui étaient là c'était tellement émouvant. Justement, à travers ces témoignages et autres, cela permet réellement de bien montrer que tout est possible. Oui, de manière très difficile, ils s'en sont sortis bien sûr avec l'aide de Dieu, mais ma foi je pense que si on raconte l'histoire du "Joola", ça permettra à toute la nation de se resserrer sur des questions essentielles et d'aller de l'avant. Parce que jusqu'à présent, on n'a pas tiré les enseignements, les leçons du "Joola".

« Le sport favori des Sénégalais c'est l'indiscipline »

Près de 2 000 personnes ont péri dans un bateau qui devait en contenir 550. Vingt-trois ans après, est-ce qu'il y a réellement ce changement de comportement dans les transports ?

Non, il n'y a pas de changement ! Sincèrement ! J'avoue que personnellement, je prends la route, mais c'est vraiment difficilement en tant que conducteur, quand je me rends compte du comportement des gens sur les axes routiers. J'avoue que rien n'a changé depuis 2002, sinon que le sport favori des Sénégalais, c'est l'indiscipline. Je suis désolé de vous le dire, mais on ne peut pas bâtir une nation dans l'indiscipline. On a un devoir de citoyenneté. Ce n’est pas l'État qui pourra régler nos écarts de comportement.

Je pense qu'il nous appartient nous-mêmes en tant que citoyens, d'user de notre citoyenneté pour donner l'exemple. Si on ne le fait pas, quelle que soit la volonté des pouvoirs publics, on ne pourra pas changer. Parce que comme on dit, l'État ne pourra pas venir jusque chez vous pour vous changer. 

Je pense que ça, c'est un sursaut d'orgueil qui pourra nous permettre de nous ressaisir. Bien entendu, l'État doit donner le ton pour faire respecter la loi. Moi, j'ai eu l'occasion de sillonner le monde. J'avoue que dans certains pays, comme aux États-Unis, on n'a même pas besoin de policiers parce que tout le monde se respecte. La place publique devrait être un cadre de respect. Malheureusement, chez nous, j'ai comme l'impression qu’on ne se respecte pas mutuellement.

Nous avions pensé que peut-être "le Joola" devait être un déclic. Si vous vous souvenez, aux premières heures après le naufrage, si vous regardez la circulation, il n’y avait pas de surcharge. Et c’était de manière spontanée. Ce n’est pas l'État qui l’avait décrété, ce sont les citoyens qui ont pris leur engagement, puisque ç’a été un traumatisme pour tout le pays. Et durant quelques mois c'était la discipline. Et après, tout le monde a oublié et puis on a recommencé notre sport favori. C'est ça qui est dommage en fait.

Quel appel particulier lancez-vous aux autorités et aux citoyens, en ce jour de souvenir et de deuil ?

Le thème qui a été évoqué cette année, choisi par les orphelins, c'est « L'impératif du souvenir et la nécessité d'une introspection ». Ça veut tout dire. Donc, c'est un appel du pied des victimes que nous sommes, pour que les gens se souviennent. Parce que même quand vous marchez, surtout la nouvelle génération, vous posez la question à des jeunes, ils ne savent même pas. J'ai 23 ans, moi, ce qu'ils me disent, 23 ans. Ils ne s’intéressent pas à leur histoire.

Nous, on ne voit pas le temps passer, mais nous estimons qu'il y a un devoir de travail, de mémoire. C'est l’impératif du souvenir qui est mis en avant. 

L’autre aspect, c'est le cadre introspectif. C'est la raison pour laquelle, dans le panel d'aujourd'hui, nous avons mis en avant les témoignages des rescapés qui étaient très émouvants. Nous allons le rééditer.

Nous avons même souhaité que tous les trois mois, ce qu'on appelle en wolof « ndëp » (exorcisme), c'est-à-dire qu'à la limite, face à un public, que l'on puisse renouveler des choses comme ça. Peut-être que cela peut donner quelque chose d'extraordinaire pour les citoyens que nous sommes. Et c'est des centaines, ces gens qui l'ont vécu. Et nous pensons que ce sont ceux qui l'ont vécu qui peuvent insuffler cette dynamique pour dire aux autres « Attention ! De grâce, ne faites pas ça, parce que nous, on ne souhaite à personne d'être dans la situation que nous avons vécue. »

Entretien réalisé Max Euclide KANFANY, correspondant de Seneweb à Ziguinchor

Auteur: Max Euclide KANFANY Correspondant à Ziguinchor
Publié le: Vendredi 26 Septembre 2025

Commentaires (1)

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    Sn il y a 23 heures

    Kholène lou séne religion maye nguène deff ko, exposer des ossements, pour faire quoi. Les ossements sont fait pour être enterrés.

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