Une foule descend comme un seul homme l'avenue principale de Madrid, qui en quête d'un bus, qui d'un taxi... il faudra parcourir de longs kilomètres pour rentrer chez soi sans certitude d'y arriver après la gigantesque panne d'électricité qui a paralysé tout le pays.
Ils sont des milliers à effectuer cette transhumance en plein soleil dans un bruit de moteurs. Seul un match de foot pourrait remplir les trottoirs de la capitale ainsi.
Les trains du pays sont tous à l'arrêt, les bouches de métro fermées, les voyageurs désorientés
Sur la place de Cibeles, bus, taxis, voitures... tous les véhicules sont pris dans un embouteillage monstre au milieu duquel zigzaguent des piétons tentant de se frayer un chemin.
De longues files improvisées s'étirent sur plusieurs centaines de mètres aux arrêts de bus et les policiers veillent à faire respecter l'ordre : "ne touchez pas au cordon de sécurité".
"Regardez, la queue fait mille virages", se désespère Rosario Pena, une employée de fast-food de 39 ans. J'ai déjà mis une heure et demie à arriver ici, et "je ne sais pas combien il me reste encore jusqu'à chez moi..."
"Complet, ne prend plus de voyageurs" affichent la plupart des bus, débordant de passagers.
"Je pense qu'il me reste deux bonnes heures avant d'arriver chez moi", prédit Estefania Gallardo, une serveuse de 33 ans qui travaille dans un célèbre restaurant de la ville et a été renvoyée chez elle à peine arrivée sur son lieu de travail.
Alors certains marchent, déterminés à arriver avant la nuit, quand d'autres décident de faire un arrêt au stand. Les restaurateurs savent que sans chambre froide ou réfrigérateur, la nourriture est perdue improvisent des promotions: "Huître et verre de vin: 5 euros, paiement en espèces", indique une pancarte en carton à un coin de rue.
Sergio Arjona a installé un stand à l'entrée de sa pâtisserie Luna y Wandaa pour proposer ses cheesecakes à 50%. "A 14H, j'ai dit à mes employés de rentrer chez eux".
Sur le chemin du retour, certains se voient offrir du réconfort: le glacier la Dolce Fina distribue ainsi gratuitement des pots de glace et une longue file s'est formée devant le magasin. "Vous faites des heureux. Il faut faire contre mauvaise fortune bon coeur !" lance une cliente.
- Philosophie -
Même scènes d'une après-midi chaotique à Barcelone. Arrêts de bus bondés, piétons perdus et rideaux automatiques des commerces bloqués en haut, empêchant une fermeture sécurisée.
Pour beaucoup, le retour à la maison sera long, comme Lucía Romo, une femme de ménage de 48 ans qui attend depuis trois heures devant l'entrée de la gare Metropolitano, fermée comme toutes celles de Barcelone.
"Ils ont fermé et n'ont rien dit, et voilà", dit-elle dans la file d'attente, résignée comme les autres personnes qui attendent là n'ayant d'autre option pour rentrer chez eux. "On essaye de voir si on peut rentrer en taxi" avec d'autres personnes du même quartier "mais les taxis sont débordés eux aussi".
Depuis la coupure, elle n'a pas pu appeler les siens: "il n'y a pas de réseau".
Jordi Poch a bien choisi son jour pour aller au bureau, lui qui télétravaille habituellement. Cet informaticien de 45 ans est perdu, peu coutumier des bus, "et sans internet, je ne peux pas chercher, alors je regarde, je demande..."
Tabourets retournés sur les tables, les restaurants plongés dans l'obscurité n'accueillent personne à l'intérieur, mais les terrasses encore ouvertes ne désemplissent pas.
Quitte à attendre le retour de l'électricité, autant l'attendre un verre à la main, à l'instar de cette petite dizaine d'employés en costume qui discutent bruyamment, égayés par l'alcool dans un quartier cossu de Madrid.
Parmi eux, Camilo Andrès Garcia, un informaticien de 38 ans. Il devra marcher une heure "enfin plutôt deux avec ce que j'ai bu" pour rentrer chez lui.
Les patrons du bar lui ont fait crédit ainsi qu'à ses collègues, des habitués du troquet.
"C'est ça l'Espagne, on prend tout avec beaucoup de philosophie", s'exclame Reyes Vasquez, office manager de 38 ans.
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