Guinée-Bissau, Etat failli à l'existence menacée*
Le livre de Idriça Djalo, homme politique et opérateur économique bissau-guinéen, audite la Guinée-Bissau, du départ de ce pays ouest-africain des forces coloniales portugaises en 1974 à nos jours.
L'auteur consacre des pages aux relations avec le Sénégal, "puissant voisin du Nord", confronté dans sa partie sud à la rébellion indépendantiste armée du Mouvement des Forces démocratiques de Casamance (MFDC).
Cette organisation est devenu un acteur des luttes internes en Guinée-Bissau, "Etat post colonial en faillite", partagé entre violences, pauvreté, impunité, drogues et ethnicisme.
Le parcours personnel de l'auteur sert, dans certains chapitres, de fil d'Ariane pour son récit sur 140 pages, de la guerre de libération contre le colon portugais à partir de 1961 aux vicissitudes politiques actuelles.
Enfant, l'auteur est contraint par cette guerre à un exil à Ziguinchor, en Casamance, où il va à l'école et vit le mal du pays.
Son retour rêvé, à la fin de la guerre, vire en cauchemar quand il découvre la "terreur" du Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (Paigc) avec des arrestations, disparitions , "exécutions publiques" et une "pénurie de produits essentiels".
Il découvre que la Guinée-Bissau est "une copie du régime dictatorial" du président Sékou Touré en Guinée Conakry" en même temps qu'une "version tropicale dégénérée" du stalinisme.
Le Paigc, à la fois instrument militaire et politique de la guerre de libération, dirige l'Etat.
Cet Etat, unilatéralement proclamé le 24 septembre 1973 par cette formation, "n'est pas républicain encore moins national".
Il est "un instrument du Paigc vainqueur de la guerre" contre le Portugal.
Il est "à la fois un parti, une armée et une administration" et c'est "en son sein qu'il faut rechercher les causes des violences politiques" et de "l'instabilité permanente" dans ce pays depuis 1974.
L'armée du Paigc, "auréolée de sa victoire sur les forces portugaises, se sent investie d'un pouvoir de légitimation des dirigeants politiques".
Cette situation "se dupliquera malheureusement dans tous les partis politiques qui naîtront des crises internes" à cette formation, dit l'auteur.
Fondateur du Paigc et dirigeant de la guerre de libération, Amical Cabral est une des nombreuses victimes des violences de cette organisation.
Il est tué à Conakry en décembre 1972 par le chef de la Marine du Paigc, Inocencio Kany, qu'il avait dénoncé comme un contre modèle dans la gestion future du pays, après l'avoir accusé d'avoir volé et vendu un moteur.
Le trafic de drogue "gangrène les structures et les institutions", écrit l'auteur.
Le multipartisme instauré dans les années 90 n'a pas mis fin à cette violence.
LE MFDC AU CŒUR DES CONFLITS
Cette violence atteint un point culminant le 7 juin 1998, début du conflit politico-militaire issu d'une controverse, entre chefs politiques et militaires.
Le trafic d'armes entre des officiels guinéens et le MFDC en sera le détonateur.
Il débouchera sur une guerre civile de 11 mois.
L'armée sénégalaise intervient dans ce conflit pour soutenir le président Joao Bernardo Vieira dit Nino contre les mutins dirigés par le chef de l'armée, Ansoumane Mané, appuyés par les rebelles du MFDC, hostiles à Dakar.
L'auteur raconte la médiation qu'il a menée, parallèlement à celles d'organisations internationales.
Ce sera entre Bissau, Dakar, Lomé et Banjul, entre d'une part MM. Vieira et Mané et d'autre part entre ce dernier et la partie sénégalaise sous la houlette du ministre de I'Intérieur, Lamine Cissé, envoyé par le président Abdou Diouf.
La médiation a permis un retrait en bon ordre des troupes sénégalaises..
Mais après le départ des soldats sénégalais et guinéens de Conakry, Ansoumane Mané fait fi des accords de l'organisation des Etats oues-africains Cédéao et chasse du pouvoir le président Vieira en mai 1999.
Pour l'auteur, l'implication du MFDC dans les crises politiques guinéennes représente une des plus importantes menaces pour la sécurité nationale de la Guinée-Bissau, "un danger sur l'existence" de son Etat alors que "la rébellion est un problème marginal pour Dakar".
UN PACTE POUR LA STABILITÉ
Face à ces maux, il appelle à des États généraux en vue d'"un Pacte national de stabilité".
Il invite ses compatriotes à saisir cette opportunité pour ouvrir un débat sur un système failli qui est devenu une menace existentielle pour le pays.
Ce livre, publié à la veille des élections présidentielle et législatives du 23 novembre, auxquelles ne participe pas pour la première fois le parti historique Paigc, exclu par la justice en raison de sa candidature tardive, est plein d'enseignements sur les démons qui ravagent la Guinée-Bissau.
L'histoire de ce pays frontalier du Sénégal est curieusement presque absente des programmes d'enseignement sénégalais alors que la Guinée-Bissau a influencé de nombreuses formations socio-politiques et culturelles au Sénégal
Les hommes politiques sénégalais doivent lire cet ouvrage pour mieux cerner les réalités dans ce pays voisin, les prendre en compte dans leurs projets politiques d'intégration et surtout faire taire les armes durablement en Casamance, qui a été une base arrière du Paigc.
L'auteur qualifie de "marginal" pour Dakar le problème du MFDC, une idée discutable.
Il ne s'intéresse pas à deux questions essentielles pour nous: en quoi la colonisation portugaise a posé les germes de cette violence endémique en Guinée-Bissau et pourquoi le Cap-Vert, pays ayant vécu la même aventure coloniale portugaise, y a échappé et est aujourd'hui un modèle démocratique en Afrique.
*Note de lecture
Idriça Djalo
Guinée-Bissau
Une vision pour la refondation de l'Etat
Elma Éditions, octobre 2025
Commentaires (1)
Excellente analyse critique! La presentation du livre au Senegal doit faire partie de la strategie de communication de l'auteur et des editeurs.
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