Entre l’assiette et le marché : l’illusion de l’autosuffisance
La souveraineté alimentaire est de plus en plus invoquée comme réponse aux chocs extérieurs, qu’il s’agisse des crises sanitaires, des tensions géopolitiques ou de la volatilité des marchés mondiaux. L’idée de produire localement l’essentiel de ce qui est consommé rassure sur le plan stratégique et politique. Toutefois, cette ambition se heurte rapidement à des contraintes économiques liées aux coûts de production, à la productivité et aux conditions naturelles.
Dans de nombreux pays africains, le coût unitaire de certaines denrées de base reste supérieur à celui des produits importés. Selon les données de la FAO, le rendement moyen du riz en Afrique subsaharienne se situe autour de 2 tonnes par hectare, contre plus de 4 tonnes en Asie. Cet écart de productivité, issu des statistiques régionales de la FAO, se traduit par des prix locaux plus élevés une fois intégrés les coûts d’irrigation, d’intrants, de stockage et de transport. Dans ces conditions, substituer totalement les importations par une production nationale peut renchérir la facture alimentaire pour les ménages urbains.
L’arbitrage budgétaire est également central. Soutenir la production locale passe souvent par des subventions aux intrants, des prix garantis ou des investissements publics lourds dans les aménagements hydro‑agricoles (irrigation, barrages, réseaux de distribution). Or ces politiques ont un coût non négligeable. Dans plusieurs pays de la région ouest‑africaine, les dépenses publiques agricoles représentent moins de 5 % du budget total, bien en deçà de l’objectif de 10 % fixé par la Déclaration de Maputo et repris par le Programme Détaillé de Développement de l’Agriculture Africaine (PDDAA). Accroître cet effort suppose soit de réduire d’autres dépenses, soit d’accepter des déficits plus élevés.
La question de la compétitivité à long terme reste déterminante. Une stratégie de souveraineté alimentaire qui protège excessivement les producteurs peut freiner l’innovation et retarder les gains de productivité. À l’inverse, une ouverture totale aux importations expose les économies aux chocs de prix internationaux, comme l’a montré la flambée des cours des céréales en 2022, liée aux tensions géopolitiques et aux perturbations logistiques mondiales, avec des hausses dépassant 30 % sur certains marchés. La dépendance extérieure devient alors un facteur d’instabilité macroéconomique et sociale.
La souveraineté alimentaire apparaît ainsi moins comme un objectif absolu que comme un équilibre à construire. Elle implique de cibler les filières où les avantages comparatifs peuvent être renforcés, d’investir dans la productivité et de sécuriser des stocks stratégiques sans chercher l’autosuffisance intégrale. Dans cette perspective, la souveraineté alimentaire n’est pas seulement une posture politique mais un choix économique complexe qui combine efficacité, coûts, soutenabilité budgétaire et résilience face aux chocs.
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