Située dans la Commune d’arrondissement de Gueule-Tapée/Fass/Colobane, Gueule Tapée est un quartier très populaire de Dakar. Elle est délimitée à l’Ouest par le Boulevard Canal IV, à l’Est par le boulevard Gueule Tapée, au Nord par l’avenue Blaise Diagne et au Sud par la corniche Ouest. Érigée en commune depuis 1996, elle était pourtant un quartier peuplé, il y a 60 ans, non pas par des humains, mais par des varans. D’où son nom : Gueule-Tapée, « barr »’ en Wolof.
Au fil du temps, plus les populations s’implantèrent, plus ces reptiles laissèrent la place à l’homme. Ils abandonnent leurs habitats, à la place desquels des immeubles naissent comme des champignons.
El Hadji Assane, dit Ousmane Diop Yakhya, l’imam de la mosquée de Gueule tapée, raconte que “ce quartier était une forêt avec des fleuves où vivaient des Gueules-tapées (Varans) ». « Il était aussi occupé par des Toubabs (blancs). C’est comme le cas de “Tilène”, là-bas c’était les chacals, “’Tilles”’, qui dominaient. Les blancs ont finalement donné le nom de ces reptiles à ce quartier. Nous tous, nous sommes originaires du centre-ville, du Plateau, principalement de Thieudem. C’était à cause de la peste que ces “‘Penc”’ ont été déplacés vers la Médina et la Gueule-Tapée. Et à cette époque, les maisons étaient en baraques, ou en cases de paille », raconte l’imam dont les souvenirs se bousculent dans sa tête.
Le père de « Diop le maire », l’un des premiers habitants
Autrefois, narre le vieux Yahkya, les habitants de la Gueule Tapée étaient des animaux. Aujourd’hui, cette forêt est remplacée par des villas cossues. Âgé d’au moins 71 ans aujourd’hui, il nous raconte, nostalgique, les premières années de sa jeunesse dans cette cité. « C’était vers 1944 que mon père a quitté le Plateau pour venir s’installer dans cet endroit. À notre arrivée à Gueule-Tapée, c’est Ousmane Diop Coumba Pathé, le père de Mamadou Diop, ancien maire de Dakar, qu’on a trouvé sur les lieux. Il venait de “Yakh Dieuf” “(un Penc)”’. Il y avait, avant lui, d’autres personnes dont j’ignore les noms et l’origine. Ils s’étaient installés à Gueule-Tapée avant notre arrivée. Mais ce qu’on peut dire, c’est que cette localité est un quartier lébou », témoigne le vieil homme.
Durant cette période, Gueule-Tapée ne comptait pas beaucoup de monde. « On pouvait rester toute une journée sans voir une personne circuler. Et il n’était pas difficile de se procurer un terrain pour construire sa maison. Le maire de Dakar de l’époque, un blanc (Alfred Goux : NDLR), distribuait les terres à tout demandeur », raconte le patriarche. Gueule-Tapée était un endroit naturel et paisible, au bord de l’océan. Il y faisait bon vivre. « On faisait de la lutte, on jouait au football, les familles étaient unies », dit-il.
Des infrastructures scolaires à la pelle
Aujourd’hui, la cité a pris de l’envergure. À la Gueule tapée, de jour comme de nuit, les rues grouillent de monde. Le quartier ne semble jamais s’endormir. Les habitants aiment s’asseoir devant leurs maisons où des groupes d’enfants jouent habituellement dans les ruelles, ou s’occupent des moutons devant leurs demeures. « Toutes les rues sont numérotées. Ce qui fait qu’on ne s’y perd que rarement. Nous qui habitons ici connaissons toutes les rues. Impossible de s’y perdre. Nous ouvrons nos portes à tout le monde. Durant les cérémonies familiales, tout le monde vient participer, sympathiser ou compatir. Il y a une solidarité absolue entre les populations », témoigne le religieux.
Côté éducation, Gueule tapée ne se plaint pas. C’est le seul quartier de Dakar où on peut apprendre de la petite section jusqu’à la maitrise sans prendre le bus. C’est le seul quartier du Sénégal où on peut faire tout un parcours scolaire sans sortir du quartier du fait que tous les établissements scolaires s’y trouent. Le lycée Maurice Delafosse, l’Université Cheikh Anta Diop, l’école « Paille d’arachide »... sont tous implantés dans ce quartier.
Une arène transformée en école
En effet, lorsqu’on parle de la Gueule Tapée, on ne peut occulter l’école « Paille d’arachide »’. Un établissement bâti sur une ancienne arène, dont l’imam nous raconte l’histoire : “C’était un certain Modou Guèye, le père de l’ancien directeur du port, Mansour Guèye, qui y vendait de la paille. Il s’y était installé il y a de cela longtemps, du temps où cet endroit était une arène. On allait le voir pour qu’il nous donne un peu d’argent. Finalement, les autorités ont décidé de bâtir une école sur ce site qui a abrité de grands combats de lutte comme celui ayant opposé Falaye Baldé (le père d’Ama Baldé) à Youssou Diène. On a décidé de l’appeler l’établissement, école ‘Paille d’arachide’, en hommage à Modou Guèye”, explique le vieux, tout souriant.
“Repos Mandel”, un hôpital pour prisonniers âgés devenus hôpital Abass Ndao
La Gueule-Tapée, c’est aussi l’hôpital Abass Ndao qui, dans sa conception, était construit pour servir de maison de repos pour les prisonniers âgés. D’où l’appellation de “Repos Mandel”. Il a été créé en 1935 par Alfred Goux, à l’époque Maire de Dakar.
Cette maison a été inaugurée en avril 1936 par M.Boisson, Gouverneur Général par intérim de l’Afrique-Occidentale Française (Aof). Son architecture est d’inspiration “soudano-sahélienne”, très en vogue à l’époque de sa création. Il y sera créé en 1950 une maternité et un petit dispensaire. En 1974, le centre devient un hôpital municipal et les bâtiments pour les services tels que la gynécologie et la chirurgie y sont construits. Le Centre Hospitalier Abass Ndao (Chan) fut rattaché à la Communauté urbaine de Dakar et dirigé par un administrateur nommé par son Président. La disparition de la Communauté urbaine a laissé au Chan un vide juridique rectifié par le décret n° 2002-276 du 11 mars 2002 qui établit les nouvelles modalités de gestion de l’hôpital.
Le 10 mai 2003, avec la signature du décret 2003-01, ce centre a été érigé en établissement public de santé de niveau 3, ce qui exige une meilleure gestion de ses ressources humaines. Il est depuis lors sous tutelle administrative de la Ville de Dakar, sous tutelle technique du Ministère de la Santé et sous tutelle financière du Ministère des Finances.
Une mosquée construite par un blanc
Alfred Goux n’a pas seulement voulu doter de la localité d’un hôpital, il a également tenu à faire en sorte que tous les citoyens de cette localité, toutes confessions, puissent vivre pleinement leur foi.
C’est pourquoi, à la Gueule-Tapée, la plupart des grandes familles religieuses ont des domiciles dans la localité. D’ailleurs, c’est El Hadji Abdou Aziz Sy Dabakh qui a fait la pose de la première pierre de la mosquée entre 1974 et 1975 avant de diriger la première prière. “Tous les grands dignitaires religieux étaient présents dans la cité. Mais, c’est Ousmane Diop Coumba Pathé qui a donné ses terres pour construire une mosquée. C’est le premier maire, Afred Goux, qui a construit la mosquée de Gueule-Tapée”, témoigne l’Imam de cette localité.
Quand la coquetterie féminine déteint sur le marché de la localité
La Gueule-Tapée est aussi célèbre pour son marché, connu sous le nom de “marché Ndokett”. Il était le lieu de convergence des vendeuses ou des férues de “Ndokett”, un accoutrement féminin en vogue à l’époque. L’une des plus âgées du quartier, connue sous le nom de mère Awa Diouf, explique : “À notre époque, les femmes s’habillaient toutes en ‘Ndokett’, une couture qui était à la mode en ce temps. Même les vendeuses étaient en ‘Ndokett’. On assistait finalement à un défilé de ‘Ndokett’ chaque jour au marché. Et finalement, l’appellation de ‘Marché Ndokett’ s’est imposée d’elle-même », raconte-t-elle, fièrement.
Aujourd’hui, en plus de ce marché, Gueule Tapée a son ‘louma’ (marché hebdomadaire) qui refuse du monde tous les mercredis. Étudiants, commerçants, acheteurs, tout le monde s’y retrouve pour faire ses achats ‘Rue sans lois’
Toutefois, comme les quartiers périphériques de Dakar, Gueule Tapée souffre d’un problème d’assainissement. Durant l’hivernage, la cité change complètement de visage. Des eaux stagnent partout et les égouts déversent leur trop-plein de charge, avec une odeur pestilentielle. À ce problème, s’ajoute le niveau de pauvreté et de chômage. ‘Il n’y a pas d’emplois à la Gueule-Tapée. Les femmes vont chaque jour, tôt le matin, au marché, reviennent avec de la marchandise et vendent devant leurs maisons. Il y a des étals devant chaque maison, car les femmes ne veulent pas croiser les bras’ renseigne Latyr Diagne, conseiller du maire.
Mais, certains jeunes, oisifs, se sont laissés tenter par la délinquance. Un quartier de la Gueule-Tapée a même fini de s’appeler ‘Rue sans lois’ et les forces de sécurité ne cessent d’y effectuer des descentes inopinées.
La Gueule tapée, c’est aussi un problème environnemental. ‘Gueule-Tapée est calée entre deux Canaux (canal 4 et le canal Gueule-tapée). La cité est aussi un peu désertique. Ceux qui sont à l’intérieur ne se rendent même pas compte que ce quartier a des problèmes d’arbres. Il faut qu’on plante des arbres à la Gueule-Tapée. Suite à la réfection des routes, beaucoup d’arbres sont tombés’, informe M. Diagne.
Aujourd’hui, la commune de Gueule-Tapée est un des quartiers les plus densément peuplés de Dakar. Un quartier, où il faisait bon vivre, dont l’histoire est indissociable avec celui du reptile qui lui donna son nom. Cependant, la cité peine à relever ses innombrables défis.
Mamadou Salif Dieng
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